Destination : 121 , Entre les murs, derrière les mots


les lignes sans mots

Les mots s’en sont allés, les mots sans son, sangsues qui sucent mon sang, le sang de mes mots qui tournent en rond dans le bocal de ma tête. Ma tête qui ne veut pas, ma tête qui veut, c’est quoi cette dichotomie archaïque entre ma tête et mon corps, ma tête et mon cœur, ma tête et mon ventre, aïe voici que d’une dichotomie je passe à une quadratomie, ça existe ça ? Je viens de l’inventer là à l’instant alors oui ça existe et en bien y réfléchissant je crois bien que je pourrais en trouver d’autres.



Justement, réfléchir l’ai-je trop fait ou pas assez ces derniers temps. Ces temps derniers où je suis retournée dans ces régions lointaines de ma vie, si lointaines que j’ai eu besoin de m’éloigner de chez moi pour tenter de me retrouver, moi qui vis plutôt terrée dans ma coquille comme l’escargot que je suis. Dans ces régions lointaines où je n’étais plus allée depuis si longtemps qu’ai-je trouvé finalement ?



Oh comme souvent quand on s’aventure dans les greniers de la mémoire, j’ai rencontré pas mal de toiles d’araignée et même quelques araignées dans le plafond ; j’ai très peur des araignées noires et velues, les simples faucheux me font frissonner mais les grosses araignées noires me tétanisent. Alors voilà, je me suis retrouvée un peu frissonnante à l’idée des araignées mais j’en ai terrassé une, une grosse très noire avec des tas de pattes et de poils. Je me suis jetée dessus avec rage, ma colère a enflé au fur et à mesure que je m’en approchais et je l’ai écrasée, ratatinée, je me suis livrée à un véritable massacre de l’araignée jusqu’à en faire sortir un jus blanchâtre ; alors seulement je me suis arrêtée et j’ai contemplé le résultat de ma colère, j’ai vérifié que plus aucune patte ne bougeait et j’ai poussé un soupir de soulagement. J’ai ressenti une certaine fierté d’avoir pu ainsi terrasser un aussi vieil ennemi, j’ai encore quelques frissons qui me parcourent et un peu de dégoût mais je me suis sentie libérée.



Seulement ce voyage en ces terres lointaines et ces découvertes m’ont un peu fatiguées je le reconnais. Je me suis perdue dans ces labyrinthes immémoriaux et je n’arrivais plus à retrouver mon chemin, je voyais de la lumière, celle du jour et du soleil, celle qui fait scintiller la rosée sur les toiles d’araignée, le matin sur les chemins de campagne, ceux de mon enfance, dans sa partie ensoleillée, celle où je regardais les blés verts au printemps ondoyer sous le vent et où j’imaginais que c’était la mer et ses vagues. J’avançais toujours, de plus en plus lentement et je n’atteignais jamais la lumière, elle continuait à briller devant moi, elle se déplaçait devant moi mais je n’arrivais pas à la saisir.



Je n’avais pas de mots et j’étais prisonnière de ces lignes qui ne s’écrivaient pas, de ces mots qui ne se disaient pas, de ces phrases que je ne pouvais pas prononcer. Un mot après l’autre laisser s’échapper des bribes, laisser sortir les mots qui se dessèchent à l’intérieur, les laisser prendre la lumière du jour pour qu’ils m’éclairent enfin. J’avais peur d’être éblouie, j’avais peur d’être submergée et les mots ne sortaient plus parce que je n’avais pas confiance en eux, parce qu’ils me faisaient peur. Je me suis perdue au milieu d’eux et soudain ils traçaient des lignes qui m’enfermaient, je voulais suivre ces lignes mais les mots s’effaçaient au fur et à mesure, seuls les maux restaient et grossissaient, alors j’ai pris mon courage à deux mains, j’ai ouvert la porte de ma colère qui de blanche page est devenue noire et a cassé son encrier sur ma feuille, j’ai trempé les doigts dans cette tache pour tracer le contour de ma vie. Ils étaient encore malhabiles, plutôt fébriles mais l’encre les a aidés. Un sang nouveau s’est mis à couler, fluide et gai. Je me suis roulée dans les vagues de blé vert qui murissaient et blondissaient sous mes yeux ébahis, j’ai ouvert la brèche, l’encre s’est engouffrée dedans et m’a emportée, libérant enfin mes mots, me délivrant de ses lignes trop étroites, de ses fils tissés trop serrés. Mes mots sont revenus plus fort, plus fous et plus libres comme moi. Ce soir c’est ici que je les trace, ce soir c’est à vous que je les donne, ici ils seront inscrits et je pourrais revenir les chercher si je les perdais encore une fois.

lola