Destination : 148 , En ville d'Ailleurs
Le petit Nice
Depuis cinquante-cinq ans que je l’habite, j’ai vu ma ville changer.
En bien, en mal, je ne saurais le dire…
La petite cité industrielle, je devrais dire industrieuse, dont le blason est d’ailleurs une ruche entourée d’abeilles, était hier, poussiéreuse, noircie par les fumées des nombreuses usines : sidérurgie, métallurgie, verrerie, mécanique… les hommes avaient de quoi s’occuper, sur place.
Les rues foisonnaient de commerces… A la gare, chaque jour, on déchargeait les marchandises et les matières premières nécessaires à l’industrie. En échange, on expédiait, de par le monde, nos productions.
Si, autrefois, la ville avait une apparence lépreuse, elle était, pourtant, en pleine forme, bruissante de vie et d’animation. La ruche était sale mais elle bourdonnait !
Aujourd’hui, sa maladie est sournoise, elle se dissimule sous des apparences coquettes et trompeuses, on ne le comprend pas tout de suite mais la cité se meurt, doucement mais sûrement.
Un grand parking, le plus important de la ville, jouxte les quais de la gare et des centaines de personnes désertent la cité tôt le matin jusque tard le soir, pour s’en aller travailler… ailleurs.
Rive de Gier, banlieu de Lyon et de St Etienne est devenue une cité-dortoir.
Les friches industrielles sont désertes ou parcimonieusement occupées par de petits ateliers, des micro-entreprises aux maigres activités, peu polluantes : les riverains ont rejetés violemment une entreprise de chaudronnerie qui aurait rapportée de nombreux emplois et des taxes pour le bénéfice de la ville… C’est bien connu : la santé n’a pas de prix !!! L’usine s’est implantée dans la commune d’à côté, à elle les taxes et les emplois, mais, rassurez moi : les fumées qu’elle dégage connaissent-elles bien les limites des deux communes?
Le commerce local se réduit comme peau de chagrin cependant, on a de belles avenues, un beau jardin des plantes, le tout fleuri à profusion.
Les façades des maisons sont ravalées de neuf et restent propres : Rive de Gier est une petite ville pimpante!
Il y a aussi de beaux jeux de boules, un joli stade, une médiathèque, un cinéma, une salle de spectacle, un gros marché deux fois par semaine : il faut bien que les chômeurs aient de quoi s’occuper!
Hier, le Gier, affluent du Rhône qui traverse la ville et lui a donné son nom, changeait de couleur en fonction de celle des bains de teinture rejetés par les usines de tissages de la Grand-Croix ou de St Chamond. Il était le royaume de rats, gros et luisants, se régalant des déchets que rejetaient les riverains.
Il est aujourd’hui, canalisé, couvert par une large avenue, qui traverse la ville. Aseptisé, plus d’odeur pestilentielle pour chasser les promeneurs, l’été.
Pourtant, loin d’être dompté, il lui arrive, quelquefois, de se révolter, de vouloir s’évader des souterrains où on l’a enfermé. En colère, il montre sa puissance, reprenant son cours initial, soulevant le goudron et les plaques d’égout, inondant le centre ville, charriant des torrents de boue et dévastant tout sur son passage. Il laisse alors derrière lui, ruine et désolation lorsqu’il redevient raisonnable.
Cela lui est arrivé deux fois ces cinq dernières années… et, à présent, on se méfie de sa nature ombrageuse!
Pourtant, malgré tout cela, Rive de Gier est une ville où il fait bon vivre.
Au fond de la vallée, dans un écrin de campagne verdoyante, à la porte du parc régional du Pilat, elle bénéficie depuis toujours d’un micro climat à qui elle doit le surnom de « petit Nice »
Chez nous, il fait moins froid, il y a plus de soleil, moins de pluie, de neige ou de brouillard que chez nos voisins lyonnais ou stéphanois.
Et, une autre chose, primordiale à mes yeux me la rend chère. Les gens y sont gentils, serviables et accueillants.
Les étrangers ne s’y sont pas trompés, au fil des siècles : les ardéchois ont traversé le Pilat, les italiens, les Alpes, les espagnols et les portugais, les Pyrénées, les tunisiens, les algériens, les marocains, les turcs, la Méditerranée pour venir travailler et s’installer à Rive de Gier… et y rester.
Et cette communauté, bigarrée, multiethnique, joyeuse, courageuse et soudée face à l’adversité fait la force de notre ville.