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Destination : 205 , Histoires d'eau

La faiseuse de joie

Il est coincé dans son appartement sur son fauteuil roulant. L'ascenseur est encore en panne. Heureusement les voisins passent régulièrement. Il lit dans leur regards compatissants "Si c'est pas malheureux, à peine vingt ans et les jambes mortes. Ah les motos, des engins de malheur !".



Derrière la large baie du salon-salle à manger le ciel s'organise en révolte. Des bataillons de nuages gris anthracite poussent sans ménagement le reste d'une troupe en débâcle de nuages blancs. On entend au loin la voix sombre et graves d'un orage.



Il peut déverrouiller facilement la large vitre et la faire glisser. Le plus difficile est de faire passer le fauteuil roulant sur le petit balcon qui prolonge la pièce.

Que de tentatives infructueuses qui le font suer et pester ! Les roues de devant sont passées mais celles de derrières restent coincées. Il se concentre à faire éclater les veines de son front et de ses bras et hop ! Il a gagné. Il pourra s'offrir à la pluie.

Elle le sait la pluie lorsqu'on l'attend, on l'espère, la bouche ouverte les paupières clauses, les mains tendue. Elle arrive, d'abord en coquette, quelques grosses gouttes calculées qui s'écrasent dans un bruit musical, puis elle se fait pressante et martèle provoquant des jaillissements d'argent.



Quel bonheur de recevoir cette pluie vivante qui inonde son visage, son torse. Ses mains se sont faites conques pour l'emprisonner un peu. Il chantonne en avalant des gouttelettes.

Les images affluent : les rivières où il allait pêcher enfant avec son père, les lacs aux eaux glacées, lanceuses de charmes, où il aimait nager en solitaire, la fontaine humble d'un village provençal, la dernière fontaine croisée avant, avant cette route en lacet sur laquelle …

A quoi bon déterrer l'horreur. Il y a la pluie et lui, et ils s'aiment. Elle le lave de sa souffrance en mère vigoureuse. Il sursaute. Un éclair, d'une lumière princière, vient de zébrer le ciel. Il écoute, il attend, il compte, vient le grondement sauvage.

L'orage n'est pas loin, qu'importe il n'a pas fini de converser avec la pluie.



Quelqu'un rentre dans l'appartement. Il n'a rien entendu tout à son émerveillement.



"C'est pas dieu possible mon pote ! Tu es tout trempé ! Et ton fauteuil qui est coincé sur la terrasse. Je vais te porter jusqu'au canapé."

Il est transporté en inutile poupée.



Ses mèches trempées laissent goutter des larmes sur son visage. De petites flaques irisées s'installent sur le canapé où s'aventurent sur le parquet.



"Mec mais regarde le désastre !" puis face à la mine réjouie de l'handicapé " La prochaine fois prend un parapluie"





EVELYNE W