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Destination : 273 , Absence, manque et disparition…

La toilette

Un rai de lumière m’a extirpé de ma torpeur. Quitter lourdement, sans empressement, l’obscur de ma cellule et aller vers le phare. Mes mains s’accrochent aux barreaux. Je dois fermer les yeux quelques instant car il me semble qu’ils vont s’enflammer. Je les ouvre parcimonieusement pour découvrir, dans la cour pavée, un chat faisant sa toilette. Je dois certainement rêver tout éveillé, un chat, noir avec des taches blanches faisant avec soin sa toilette dans la cour de la prison, même les oiseaux font un grand détour pour ne pas voler au-dessus du centre de détention. Je le regarde fasciné, quelle chorégraphie cette toilette. Je voudrais que jamais elle ne se termine. Moi aussi, avant, je me lavais longuement, aucune partie de mon corps ne pouvait échapper à ma vigilance. Après ma toilette je me sentais si vivant, prêt à tout affronter. Lui aussi le chat, là-bas dans la cour de la prison, il doit se sentir bien vivant.



Moi aussi, avant, j’avais un chat, une œuvre d’art, gris avec des yeux verts qui vous toisaient. Je l’avais appelé Satan, ma mère criait sans cesse : « Ta satanée bête a encore volé !». Je me marrais, oui il chapardait mais impossible de le prendre sur le fait. Un artiste mon Satan. Mes mains courent encore dans son pelage si long, si tendrement doux. Une douleur électrique vient de me traverser la poitrine. La force maléfique des souvenirs.



La toilette du chat continue. Suis-je le seul à regarder cet extraordinaire spectacle ? Il faut se forger une solide solitude en prison, une belle armure boulonnée impeccablement. Ne jamais gueuler même sous les coups. Le silence, ce monumental silence consenti qui efface toute velléité de parole. Finalement, on peut sans problème se passer de la parole. Il y a bien longtemps j’aimais chanter. Chanter vraiment, des airs d’opéra. Il fallait m’entendre dans le répertoire italien. Ma mère disait « Si tu n’étais pas un voyou tu aurais pu être un ténor ». Elle le pensait, je le voyais à la brillance de ses yeux. Elle m’imaginait déambulant sur une scène d’opéra déguisé en marquis.



Le chat vient d’interrompre sa toilette, sa tête furette, elle suit un son. Un prisonnier a-t-il sifflé ? Être regardé sans haine par une bête, lui caresser la tête en souriant. Serrer contre soi une bête. Je ferme les yeux. Je chancelle sous le coup de poing du souvenir. Retrouver mon souffle et regarder le chat faire sa toilette.



Avec une démarche gracieuse, le chat quitte le rectangle de cour que je peux apercevoir. Quelqu'un l’a appelé, je n’ai rien entendu. Je reste là encore un peu, les mains accrochées aux barreaux de ma cellule.



Evelyne Willey



EVELYNE W