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Destination : 321 , Biographie d'un lieu

Le cadeau de l’aventurier

Quand et comment suis-je né ? Je ne le sais. Sans doute mon fond argileux est-il le vrai responsable. Il a piégé les eaux de pluie et des ruissellements innocents.

De simple flaque boueuse, je me suis étendue, colonisant tout un terrain en jachère.

À présent me voici une mare.



Je me trouve belle avec ma parure de lentilles d’eau, de joncs, de roseaux, de nénuphars. Voyez l’or de mes iris, le doux rose de mes épilobes, le mauve intense des épis des salicaires.



Mon amant est un saule. Il baigne, sans appréhension, sa chevelure délicate dans mon miroir incertain. Lui font face deux peupliers, élégants chevaliers à cuirasse de neige. Ils sont jaloux de notre tendresse. Certaines nuits d’orage, ils chuchotent des menaces.



Il vous faudra être aventurier pour me découvrir. Les ronces et les orties me protègent.

Mais je crois que ce n’est pas moi que vous cherchiez, c’était le manoir, une construction insensée des années 1920. Son propriétaire était un artiste peintre très riche et très fou. Il n’a jamais visité l’immensité de son domaine donc, je ne l’ai jamais vu. C’est une grue, qui régulièrement me visite, qui m’a tout raconté. Le manoir a brulé avec l’artiste. Des rumeurs d’assassinat se sont propagées. Une vraie peste les rumeurs. On a même évoqué une malédiction des lieux à cause d’autres morts suspectes dans le manoir. Finalement tout cela m’enchante, on me laisse en paix.



Trouvez-moi au printemps, mes chères grenouilles seront de retour. Elles chanteront pour vous leurs plus beaux chants d’amour. Soyez patient, viendront les papillons-pastels et les libellules joyaux irisés.

Chut, n’effrayiez pas l’hirondelle rêveuse qui vient de se poser. Sa tête est trop encombrée de voyages. Parfois un couple de canards sauvages vient papoter. Ils tournent en rond, se poursuivent, se disputent, se quittent mais ensemble s’envolent. Une mésange à plastron bleu me donne des nouvelles du monde. Elles ne sont pas bonnes. Je vous plains de tout cœur visiteur.



Je sens que ma vision vous attendrit. Votre cœur se calme. Le jour décline lentement. Vous vous éloignez. Vous vous retournez. Je sais que demain, vous reviendrez.

EVELYNE W