Destination : 203 , Trois nuances de rose
La prédatrice
La chevrotante voix intérieure dit : "Ne fais pas cela, ne fais pas cela" et plus elle ordonne et plus le désir accomplit son ascension.
Il sculpte les pieds qui se font félins légers et silencieux et se dirigent tout naturellement vers la chambre.
"Ne fais pas cela" encore des supplications.
Le soleil rosi par vagues le dessus de lit blanc qui frisonne en étouffant des soupirs d'étincelles.
Elle n'est pas là mais pas très loin, cachée dans gorge sombre de la penderie.
Elle n'a pas compris pourquoi l'ayant déjà effleurée dans la cuisine je l'ai cachée parmi les foulards de soie. Moi je le sais cela devient un rituel. Je dois l'éloigner, l'oublier un temps, pour revenir vers elle plus avide. Avec l'âge je parviens à me contrôler même si cela fait bouillonner ma tête et assèche ma langue.
"Ne fais pas cela. Attends encore quelques jours et qui sait tu t'apaiseras. Tu sais que ce n'est pas bien. Qu'il ne faut pas !"
J'écoute. Aucun bruit dans l'appartement. Il n'y a qu'elle et moi.
Je pousse la porte de la penderie le visage en feu.
Elle est recroquevillée sur la droite là où je l'avais abandonnée en pleine matinée écœurée par mon acte.
Je sais exactement ce que je vais faire, doucement la tirer vers la lumière, terminer d'arracher en fines lamelles sa robe lamée argent, toucher sa forme sombre mat, la sentir violemment pour bien m'enivrer de son acre et de son poivré et la mordre, la mordre, la dépecer en souriant. Chaque morceau d'elle fondra longtemps sur ma langue.
Ma salive l'a accueillie tout entière et c'est un ruisseau épais et parfumé qui inonde mon gosier.
"Arrête-toi à présent. Ne la fais pas disparaître entièrement, tu sais que cela te rendras encore malade et tu jureras que c'est fini que plus jamais, qu'il faut arrêter cette passion maladive, que tout cela c'est à cause de ton enfance, on n'a pas idée d'habiter à côté de la Belgique. Oui parce que évidemment il faut qu'elles soient belges avec ce minuscule éléphant tatoué or sur le corset brun".
Le téléphone sonne. Je sursaute prise en faute. Je me mets à suer. Avec la rage de la frustration, j'avale le dernier carré de chocolat noir de noir "Côte d'Or". Je fourre l'emballage dans ma poche. Il faudra bien l'enfouir tout au fond de la poubelle.