Destination : 223 , Censure soviétique
Censure soviétique - L'horreur des mots, même tranquilles
Destination 223 -Censure soviétique.
L'horreur des mots, même tranquilles….
Le livre voyageur était abandonné sur un banc par un propriétaire anonyme.
Le Cours et les terrasses étaient ensoleillés. Je choisis une table à l'écart.
Je commandai un café et ouvris le livre en éventail.
Une déchirure. Page 171-172 disparue.
Mon café arriva sur la table en même temps que mon défi.
Une jonction littéraire, à moins que ce ne fut une censure soviétique.
« Les cognacs sont arrivés. J'ai bu le mien d'un ...» et « ….à l'esprit me paraissait futile, dérisoire, et je n'ai pu que dire tout bas : je suis désolé. »
J'ai bu le mien d'un coup. Hubert me regarda. J'étais blanche, prête à m'évanouir.
- Tu vas bien ? Me demanda-t-il en avançant sa main vers la mienne.
- Je suis fatiguée, vidée !
- Je peux comprendre que c'est un sale coup.
- Comment, ça, un sale coup ?
- Oups, je crois que j'en ai trop dit. Désolé.
- Désolé ? De quoi ? Dis-moi…
- Comprends, je ne peux pas. C'est un ami d'enfance.
- Je m'en fiche. Tu n'as pas le droit de te taire.
- Non. Je suis désolé.
- Rien à faire que tu sois désolé
- Mais… balbutia-t-il…
- Un deal, je te dis ce que je crois et tu confirmes…
Je pris une respiration profonde. J'avalai goulûment une gorgée, les yeux plongés au fond du verre. Je me lançai :
- Je suis sûre qu' il la revoit….
- Oui. Mais ne dis pas que je t'ai…
- Informée de ce secret de polichinelle? Promis.
- Merci…
Hubert toussota. Il était sur une pente glissante. Perdre un ami d'enfance ? Accueillir une nouvelle amie ?
- Disons que je ne t'ai rien dévoilé…
- Non. Mais tu as confirmé. Tu as confirmé ma « version ».
- Vu sous cet angle, oui. Mais pas le vrai problème.
- OK.
- Tu penses à quoi ?
- A rien.
- Mais encore ?
- Surréaliste. Rien vu venir.
- Aucun indice ?
- Jamais cru que cela pouvait arriver.
Le verre tournait entre mes doigts nerveux, aussi nerveux que notre conversation. Si on peut qualifier ces échanges de « conversation ». Me confier ? J'étais plutôt chat échaudé ! Je bus une gorgée, et ...
- Rien vu arriver, rien vu...répétais-je
- Souvent comme ça…
- Depuis quand? sifflais-je entre les dents.
- J'ai commencé à avoir un doute quand….
- Raconte. Sans complaisance.
Il raconta, sans complaisance effectivement. Je complétais les blancs.
Je déconstruisais une belle histoire.
Je comprenais comment « il » avait échafaudé sa stratégie, comment les éléments s'étaient imbriqués pour me faire chuter.
- Voilà ! La trahison, je ne l'ai pas vue arriver...
- Je suis désolé, murmura-t-il, en baissant la tête.
J'étais épuisée. Hubert me prit la main.
Ses lèvres bougeaient à peine.
Je savais qu'il voulait se convaincre, encore une fois :
- Tout ce qui me venait ... à l'esprit me paraissait futile, dérisoire, et je n'ai pu que dire tout bas : je suis désolé. »
Douglas Kennedy - Murmurer à l'oreille des femmes – 171-172