Destination : 313 , Nos vraies richesses


Passages

Janvier 2009 :

Me voilà dans les bacs. Perdu parmi des dizaines d’autres, je ne suis qu’un livre de plus dans la grande émulsion de la littérature. Premier roman d’une jeune auteure inconnue, publié par une maison d’édition peu médiatisée : combien ai-je de chances d’être remarqué par des lecteurs ou même des critiques ? Enfin, là n’est pas l’essentiel. L’essentiel est que j’existe, enfin. Advienne ce qui adviendra !



Juin 2009 :

Surprise ! J’ai été sélectionné pour le prix littéraire Emmanuel Roblès. Nous étions six en compétition finale et c’est moi qui ai remporté le suffrage des lecteurs. Quelle émotion… C’est une première récompense et surtout, le moyen de me faire remarquer auprès du public…



Novembre 2009 :

Nouvelle récompense avec le prix du premier roman du salon de Draveil. C’est l’euphorie, je suis stupéfait et ému par l’enthousiasme des lecteurs et des membres du jury.

« L’écriture est solaire, poétique, pleine de douceur, certains passages sont réellement magnifiques. C'est un texte plein de philosophie, qui donne envie de profiter de la vie et des petits bonheurs, mais qui fait également réfléchir et d’une grande émotion… »



Mai 2010 :

D’autres récompenses se succèdent… Prix Alain-Fournier, Prix des académiciens des Genêts de Bron, Prix Jeune Talent littéraire des clubs de lecture de Saint Germain en Laye, Prix Biblioblog… C’est la consécration. Partout où mon auteure passe, les voix sont unanimes : je suis pour de nombreux lecteurs la découverte littéraire de l’année. Je poursuis mon chemin, modestement cependant, loin des feux médiatiques et des émissions radiophoniques ou télévisuelles.



Décembre 2010 :

Voilà presque deux ans que je suis né et l’enthousiasme retombe. D’autres, plus jeunes, différents, sont arrivés et brûlent leurs ailes sous les encensements des lecteurs. Je les comprends, j’ai été pareil. Pour moi, il ne me reste plus qu’à vieillir en attendant de voir si je reste dans les mémoires.



Juillet 2011 :

Olivier vient de faire 40 ans. A cette occasion, Alice, une amie et collègue, lui offre une sélection de quelques livres dont je fais partie. Olivier, ce professeur de français, féru de littérature, jette un œil sur ma quatrième de couverture avant de me reposer dans la pile des « à lire ». Il faut dire qu’il a d’autres chats à fouetter : lui, sa compagne et leur petite fille préparent leur départ pour Singapour à la rentrée prochaine. Ils n’ont pas les moyens de s’encombrer de trop de livres !



Décembre 2012 :

Je croyais vraiment que je finirai là, dans un carton, sur une étagère ! Mais non, Olivier m’a retrouvé et m’a emmené avec lui. Je serai sa lecture des fêtes, son compagnon des lendemains barbouillés et des fins de journées frileuses sur le canapé. Je suis content de cette résurrection, Je préfère la douceur de décembre à l’exubérance de juillet. Je crois que je ne suis pas fait pour une lecture de plage ou même de gare. Il me semble que je plais à mon propriétaire car il n’a de cesse de me retrouver, dès qu’il a quelques minutes…



Avril 2013 :

Je suis resté chez les beaux-parents quand Olivier est reparti à Singapour. Me voici donc gersois d’adoption et, pour l’heure, je suis dans le grand sac de la belle-sœur. La grande sœur de la compagne d’Olivier, vous suivez ? Elle m’a déniché dans la bibliothèque et a demandé la permission de m’emprunter pour me lire. Je n’ai aucune idée de la sauce à laquelle elle va me dévorer…



Octobre 2013 :

Ça y est ! Elle a rangé les livres de poches qui l’ont suivie partout cet été : à la plage, à la piscine, en vacances, en we… Maintenant qu’elle passe plus de temps à l’intérieur, elle ressort les grands formats, donc je fais partie. Et quelle chance, j’étais le premier sur la pile de la table de nuit ! Elle m’a lu en une dizaine de jours à peine. C’était une lecture étrange… je ne m’attendais pas à cela. De temps en temps, elle s’arrêtait, sélectionnait un passage dans le livre, notait quelques mots sur un petit papier qu’elle glissait ensuite entre mes pages. Puis elle reprenait sa lecture avec avidité. Je suis même sûr d’avoir vu des larmes briller dans ses yeux, à certains moments particulièrement touchants.



Février 2014 :

Ça y est, j’ai compris les petits papiers ! Mon étrange lectrice s’inspire de ses lectures pour animer ses ateliers d’écriture ! Et avec moi, elle n’a pas été en reste… la séance a été très dense pour les participants qui me découvraient tous. Aucun d’eux n’avait jamais entendu parler de moi, ni de ma créatrice d’ailleurs. Et maintenant, je vais voyager pendant quelques mois, au fil des lectures des participants qui souhaitent m’emprunter à ma nouvelle propriétaire. Car je ne vous ai pas dit ? Elle m’a officiellement adopté ! Après sa lecture, l’automne dernier, elle en a fait la demande à Olivier qui a accepté sans difficulté : impossible pour lui de s’encombrer de livres et… je crois que je ne lui avais pas laissé un souvenir impérissable, contrairement à elle.



Septembre 2014 :

Je réintègre ma bibliothèque, je retrouve là mes camarades de l’an dernier. Il y a quelques nouveaux avec lesquels je fais connaissance. Je comprends maintenant l’atmosphère qui règne ici, entre nous. J’avais perçu une distinction subtile et qui ne se parle jamais, comme si deux clans cohabitaient dans les mêmes rayonnages. Maintenant je sais : il y a ceux qui, comme moi, ont été présenté en atelier, et il y a les autres. La condescendance est infime mais elle est quand même là. Je suis par contre parfaitement consciente que mon voyage va peut-être marquer là une longue escale, jusqu’à ce qu’un nouveau lecteur ne tombe sur moi et n’ait envie de me découvrir…



Janvier 2020 :

J’ai dix ans. Et pour mon anniversaire, une chose incroyable est arrivée : elle m’a sorti de la bibliothèque. Grâce à un autre animateur d’atelier, un gars sympathique qu’elle appelle JFP, elle a eu de nouveau envie de parler de moi. Elle ne m’a donc pas encore totalement oublié…

myriam