Destination : 21 , Ecrits croisés
Un bête-seller
Coeurs croisés où Plaidoyer pour un bête-seller
Un jour de rien, un jour comme ça, pris au hasard d’une année, il,
traversait la rue sans réellement regarder. Il faut dire qu'il était aveugle
Mais cela n’a pas une grande importance pour la suite du récit… Le soleil
devait luire, car il le sentait sur son crâne chauve. Eh oui ! Aveugle et
chauve, avouez que quelques fois le sort s’acharne...
Il traversait la rue quand le bruit que fait un cheval-vapeur au galop
attira, mais un peu tard, son attention ; deux secondes après il avait la
colonne vertébrale en miettes. En miettes si ténues, que même les poussins
sacrés de Rome*(dont la réputation d’ogres n’est plus à faire) auraient
refusé de les becqueter. Il était en bouillie et complètement embrouillé.
Ce n’est pas croyable ce qu’un sabot de cheval-vapeur peut faire comme
dégâts ! Comme il ne restait pas grand-chose de représentable à la famille,
les préposés à la voirie le ramassèrent comme du crottin, et déposèrent le
tout, dans une boite de très petite dimension, mais de très grande valeur,
croyant ainsi rendre son trépas moins pénible à ces proches.
- Certains esprits malins poseront la question : mais qu'est-ce que c'est
que ce livre, et comment peut-on écrire de telles âneries?
Je leur répondrai que cela ne les regarde pas. Qu’ayant acheté le bouquin,
s’ils le lisent et le trouvent drôle, ils feront là la preuve que le
ridicule non seulement ne tue pas, mais peut quelque fois rapporter gros, si
on trouve un éditeur.
D’autre part, je suis avocat et n'ayant jamais eu l'intention de publier,
ne touchant pas de droits d’auteurs, je ne me sens pas concerné par la
critique.
Ceci étant dit, je poursuis ma lecture…
Il se retrouva dans une sorte de lumière blanche et ouatée, comme celle des
nuages. Il ne s'était pas encore accoutumé à cette luminescence quand il se
sentit propulsé, comme porté, il se déplaçait à grande vitesse sans faire
usage de ses jambes, d'ailleurs, il n'en avait plus, enfin... il n'en avait
pas vraiment. Il visita ainsi le Pays Eternel.
- Il est bien évident que l'auteur n'a jamais visité le pays dont il parle
mais je conjure la cour de lui permettre de se l'imaginer et de le laisser,
y voir, ce qu’il veut y voir, un peu comme pour l'art abstrait !
"La Pensé" étant créatrice et son humeur bucolique, il imagina alors un
décor de montagne avec un lac, et des sapins.
Lui pris l’envie d’y ajouter la mer à l’horizon, et hop ! La mer, fut ! Puis
il changea les couleurs du décor à volonté, jaune, rose, à rayure, à pois..
Un régal de loufoqueries ! Il s'ébaudissait ainsi quand, attiré peut-être
par ses rires, Esope vient à sa rencontre.
Esope était là depuis pas mal de temps, bientôt, deux mille six cents ans.
Esclave de plusieurs maîtres successifs, il avait voyagé en Afrique et en
Orient. Il était toujours fabuliste et coiffé d’un bonnet phrygien, mais il
n’était plus grec.
Car pour vivre au Pays Eternel on ne vous délivre pas de passeport, pas
besoin de permis de séjour, et on se moque bien que vous soyez de quelque
part.
Mais revenons à Esope. En ignorant presque tout de lui, certaines traditions
le décrivent encore comme un être disgracié et bègue. Il est temps que
cessent ces aberrations. Que ses traits n’aient pas été en parfaite
similitude avec les goûts de son époque, c'est une litote pouvant être
retenue ; mais bègue !... Qui va patiemment ouïr les propos d’un bègue ?
Drôle de livre, livre drôle ? Non, mesdames et messieurs du jury !
Un livre idiot, mais que l'on s'arrache à prix d'or pour le seul plaisir de
dire à ses relations qu'on le possède. Vous voilà bien puni de votre
snobisme, défaut qui n'appartient qu'à vous et qu'il serait méprisable d
incomber à l'auteur.
* Dans la Rome antique, les augures tiraient leurs présages de différentes formes de divination comme l'ornithomancie ou l'interprétation de l'appétit des poulets sacrés. Suis-je clair ? Non! Tant mieux!