Destination : 410 , En Tomologie


Des Fourmis et des Hommes

CHAPITRE 2



Le lendemain matin, quand je me suis réveillée, pour de bon cette fois, il faisait déjà bien jour, ce qui n’était pas dans mes habitudes. De plus, j’étais perplexe : avais-je rêvé ? Une déesse grecque, antique et authentique, avait-elle vraiment déboulé dans ma maison pour me demander de lui apprendre à s’amuser ? Et si oui, pourquoi diable avais-je accepté ?

Bien sûr, il était facile de mettre tout ça sur le compte de la fatigue ou de l’absurdité des rêves et je réussis presque à me convaincre que mon imagination avait encore une fois fait des siennes quand je remarquai – deuxième étrangeté après mon réveil tardif – l’absence de mon chat qui pourtant, ne quitte jamais mon lit tant que je ne suis pas en capacité de lui donner ses croquettes (c’est-à-dire debout).

J’eus la confirmation de mon intuition en arrivant dans la cuisine. Sur la terrasse, accroupie au ras du sol, ma divine invitée observait le carrelage avec une attention qui piqua ma curiosité. D’autant que mon chat, loin de quémander sa pitance matinale, se tenait auprès d’elle et semblait tout aussi fasciné par ce qu’il voyait. Je m’approchai sans bruit et aperçus une colonie de fourmis qui avançait en file indienne, d’un coin de ma terrasse en direction du coin opposé, certaines transportant des restes alimentaires, les autres se contentant d’avancer au rythme d’une marche cadencée.



- Sais-tu que pour nous, Dieux de l’Olympe, quand nous observons les Hommes s’agiter sur la Terre, vous êtes semblables à ces fourmis ?



Ainsi, elle avait senti ma présence alors que rien, dans son attitude, ne m’avait laissée le penser. Je m’accroupis à côté d’elle pour lui répondre :



- Nous sommes aussi petits, vus d’en haut ?

- Oui, c’est vrai, mais c’est surtout en terme de comportement que la similitude est étonnante.

- Comment ça ?

- Alors, oui, bien-sûr, du haut du Mont Olympe, vous paraissez minuscules et pour nous, il est difficile de vous différencier. Comme ces fourmis, vous êtes tous semblables : deux bras, deux jambes, un corps, un tête… plus ou moins grands ou gros, plus ou moins bruns ou blonds, plus ou moins actifs. Mais hormis cela, quelle différence ? Regarde ces fourmis, arrives-tu à les distinguer l’une de l’autre ?



Je dois admettre que je me sentais plutôt contrariée d’être comparée à une fourmi, d’autant que pour moi, quand même, il était évident que tous les êtres humains étaient faciles à distinguer. Je répondis cependant, du bout des lèvres et à contrecœur :



- Non, pas vraiment…

- Alors bien sûr, de temps en temps, il y en a un qui sort du lot… un plus fort que les autres comme Hercule, ou plus rusé comme Ulysse, ou qui accompli un exploit comme Thésée… mais les autres, comme toi, ils sont tous insignifiants !



Là, j’étais franchement vexée. Peuh ! Evidemment, si elle faisait référence à des héros… aussi je ne répondis rien, ce qui ne l’empêcha nullement de poursuivre son monologue…



- Mais, comme je te le disais, c’est surtout le comportement qui montre une ressemblance frappante. Comme les fourmis, les hommes vivent en colonies que vous appelés sociétés ; comme les fourmis, les hommes ont organisé cette colonie en castes dont certaines, privilégiées, s’appuient sur les autres pour vivre de leur travail. Comme les fourmis, les hommes sont prêts à s’entretuer pour défendre un territoire ou une source de nourriture ; comme les fourmis, les hommes courent et s’agitent tout au long de leur vie, sans avoir conscience de l’inutilité de leur course ni de sa fin inéluctable. Pourquoi s’agiter ainsi ? Je ne comprendrai jamais…



Mouais… je n’étais pas franchement convaincue par son raisonnement, mais n’étant pas spécialiste entomologique, je n’avais pas d’argument à lui opposer. Et puis, la moutarde commençait sérieusement de me monter au nez : toute grande déesse Athéna qu’elle était, je la trouvais un peu gonflée et méprisante à mon égard alors même qu’elle avait débarqué chez moi où je l’avais gentiment accueillie, il me semble !



- … et pourtant, c’est justement cela que je trouve admirable chez les gens de ton espèce. Qu’importe les embuches ou les dangers, qu’importe la durée ou la longueur de la traversée, tout être humain est tendu vers son destin. Vous pourriez vous laisser vivre, subvenant juste à vos besoins primaires en attendant la fin qui finit toujours par vous cueillir. Et bien non… vous rêvez, vous créez, vous bâtissez, vous aimez, vous réfléchissez pour faire de votre vie un peu plus qu’une simple machine organique…



J’étais à la fois atterrée par ce raisonnement que je trouvais d’un simplisme naïf et un peu flattée, je dois l’admettre, qu’une grande déesse aussi sage qu’Athéna puisse trouver mon espèce admirable, même si c’était en comparaison de fourmis !



- C’est amusant, non ?



Elle dit cela tout en se relevant et cela me remit en tête l’objet de sa venue. Je me fis alors la remarque que nous n’avions visiblement pas du tout le même humour ! Néanmoins, je gardai mes pensées pour moi et lui proposai d’utiliser ma salle de bain pour se rafraichir un peu.

myriam