Destination : 411 , Dédé chez des Ors durs
Dis-moi ce qu'il y a dans ta poubelle, je te dirai qui tu es...
Tandis qu’elle s’ablutionnait, je réfléchissais à la situation devant mon café au lait matinal, dressant mentalement un point - en essayant d’être la plus exhaustive possible- de ce à quoi je m’étais engagée :
Petit 1 : Une déesse Grecque, et pas n’importe laquelle, Athéna en personne, réputée comme la plus sage mais aussi la plus combative, avait déboulé chez moi en pleine nuit, pour me demander de lui apprendre à s’amuser.
Petit 2 : Le pire étant évidemment que j’avais accepté ! Je n’arrivais pas à comprendre ni expliquer ce qui avait bien pu me passer par la tête… J’étais loin, très loin, d’être la fille la plus drôle du monde, loin de là ! 48 ans, célibataire avec un chat semi-obèse, un physique banal et une nette préférence pour les soirées papotages entre copines que pour les virées en boite de nuit !
La conclusion était simple : je ne savais absolument pas par où commencer, ni même quel plan élaborer. Bref, j’étais complètement larguée. Il fallait que je trouve moi aussi de l’aide, et vite, pour retrouver au plus tôt ma petite vie tranquille. Je n’allais tout de même pas me mettre en colocation à mon âge, et surtout pas avec une déesse, pour une durée indéterminée !
Cependant, je ne me voyais pas faire une annonce tonitruante du genre : « Hou-hou, les amis, je suis avec la déesse Athéna qui voudrait bien s’amuser un peu… quelqu’un peut m’aider ? ». J’imaginais sans peine la tête de mes proches et ce qui ne manquerait pas de se produire : on soupçonnerait une rechute dépressive et je serais envoyée en maison de repos !
Je décidais donc de la jouer fine… et innocente. J’envoyais donc simplement un petit message à mes quatre meilleures copines sur notre groupe de discussion privé : « Coucou les filles, vous allez bien ? Une cousine vient de débarquer du Canada, elle aime bien rigoler et s’amuser, et je voudrais lui préparer une super soirée. Vous avez des idées, des conseils ? Je suis preneuse… Bises les filles, à bientôt…Dédé » Le tout suivi d’un petit smiley à cœur rouge…
A ce moment-là, j’entendis un grand fracas dans ma salle de bain, en même temps qu’un cri et des mots que je ne comprenais pas mais, assurément, il s’agissait d’un langage plutôt fleuri… Je me précipitai et frappai à la porte :
- Que se passe-t-il ? Vous allez bien ?
- Euh… oui, je vais bien mais… je crois que j’ai fait une bêtise…
- Une bêtise ? Vous n’êtes pas blessée ?
- Non, non…
- Bon, c’est le plus important ! Puis-je entrer ?
- Oui, je vous en prie…
J’ouvrai doucement la porte et restai médusée un court instant, avant d’éclater d’un rire bruyant devant la mine contrite d’Athéna. Elle fut encore une fois déstabilisée par ma réaction qu’elle ne comprenait pas mais il faut que vous visualisiez le tableau : Ma déesse, enroulée dans mon vieux peignoir trop court pour elle, les cheveux ruisselants et le visage déconfit devant ma poubelle renversée et vidée de son contenu. Le couvercle avait été éjecté sous une étagère et le sol était jonché de détritus. Elle reprit la parole, d’une voix franchement désolée :
- Je crois que j’ai cassé quelque chose…
- Mais non !
Je réussis à m’arrêter de rire, retenant de pouffer tant la scène me semblait cocasse.
- Mais non, vous n’avez rien cassé, c’est juste la poubelle qui s’est renversée. Ce n’est pas grave !
- La poubelle ?
- Bah oui, la poubelle ! La boite à ordures, si vous préférez !
- Mais… qu’est-ce que c’est ?
Ce fut à mon tour d’être déstabilisée. Elle ne savait pas ce qu’était une poubelle, ni à quoi cela servait ? Mais aussitôt, je me ressaisis : évidemment qu’une déesse de l’Olympe ne devait pas s’occuper de ces questions ! Peut-être même que sa divinité ne créait jamais de déchets !
- Une poubelle, c’est juste une sorte de boite dans laquelle on met les choses qui sont vides, ou cassées, ou usées, ou qu’on ne se sert plus, ou dont on ne veut plus… Tenez, par exemple, là, ce flacon rose, c’est une bouteille vide de shampoing…
- Shampoing assainissant pour cheveux fins… lavage fréquents… rincer abondamment…
- Bon, on va pas tout lire, allez, on le remet dans la poubelle !
- Et ça ?
Joignant le geste à la parole, elle attrapa un vieux tube de baume à lèvres rose périmé. Je lui en expliquai l’usage rapidement, elle jeta un regard interloqué sur mes lèvres qui, il est vrai, ont tendance à sécher et se craqueler très vite. Puis ce fut le tour, d’une vieille brosse à dent aux poils effilochés ; d’un tube de dentifrice éventré pour utiliser les dernières miettes ; d’une pince à cheveux noire cassée ; d’un pot vide de crème anti-cellulite ; d’un stick de déodorant dont l’efficacité m’avait déçue. Elle semblait à la fois étonnée et curieuse par tous ces produits, n’en connaissant pas ni l’usage, ni l’utilité. N’oubliez pas qu’il s’agissait d’une déesse, à la peau parfaite et qui aurait éternellement son apparence actuelle, c’est-à-dire celle d’une jeune fille de dix-huit ans qui aurait pu être ma propre fille ! Son attitude désarmante me touchait, et j’oubliai la scène des fourmis que je venais de subir. Il est vrai que je ne suis pas rancunière pour deux sous… Elle désigna enfin un vieux coton qui portait encore des traces de maquillage :
- Et ça, qu’est-ce que c’est ?
- C’est un coton à démaquiller, je l’utilise pour enlever mon maquillage, le soir, avant de me coucher.
- Le maquillage ?
- Oui, tenez, regardez : ça, c’est un blush pour donner bonne mine, là un mascara pour allonger et épaissir les cils et leur donner une jolie courbure et ça, c’est un khôl, une espèce de peinture pour avoir un regard de biche…
- Comment-ça ? Vous voulez ressembler à un animal ?
Ce fut son tour d’éclater d’un rire sonore qui me vexa immédiatement. Je finis de ramasser les vieux mouchoirs en papier, coton-tige et autres sans plus dire un mot, la laissant rire comme une idiote. Pas rancunière, certes, mais un brin susceptible : j’ai ma fierté quand même !