Destination : 24 , Hommage à M. Merle
L'Olivier
Je crois très fort en la perénité des âmes de ceux qui nous ont
quittés. Discrètes, impalpables, elles nous soutienne pourtant lors de
passages difficiles. Une expérience récente m'a confortée dans cette
croyance ; retournant dans le jardin d'une parente décédée il y a un an,
j'ai retrouvé les fleurs fraiches écloses, les arbres verdoyants, les sièges
prets à accueillir les visiteurs ; à chaque instant, ma cousine
apparaissait, lumineuse, active, si présente. Son âme n'avait pas encore
quitté la maison ; l'expérience a été douleureuse mais j'en suis ressortie
apaisée.
Je n'aimerais pas renaitre sous les traits d'un bonhomme au
cerveau obtu ou sous la peau glissante d'un serpent. J'amerais revivre dans
le tronc tordu et solide d'un olivier. Je poserais mes valises, pardon mes
racines, solidement dans la terre, comme je pose mes pieds sur le sol quand
je maarche ou que je veux méditer, loin des bruits extérieurs. Je pourrais
enfin m'installer car ma vie serait longue ; mes aieux ont vécu plus de
mille ans. D'iù sont ils venus ? De quelque coin de Crète, je l'espère ;
faisaient ils partie de la cour entourant la Déesse Ahéna ? Leurs branches
avaient été elles choisies pour couronner les vainqueurs des Jeux Olympiques
ou plus modestement, contribuaient ils à la vie de ces peuples, à répandre
leur culture.
Plus proches mes arrières grand parents avaient immigré en
Cévennes ; quel courage, certains hivers y sont très rigoureux. Quelques un
d'entre eux sont morts une année, victimes du gel. Ce fut un grand deuil
dans notre famille et une catastrophe pour ceux qui, au fil des ans, les
avaient soignés, cultivés, cueillis leurs fruits pour en faire ce liquide
vert inégalable et plein de richesses. Les villageois des Cévennes ne
connaissaient rien d'autre que cette huile pythique ; l'été, elle parfumait
leurs salades de tomates et, comme ils n'oubliaient pas l'ail, c'est avec
une haleine puissante qu'ils allaient faire une copieuse sieste derrière les
murs épais et les volets clos du mas ancestral, tandis que les oliviers
restaient au soleil, bercés au chant des cigales. L'hiver, les Cévenols
récoltaient les fruits ; dur labeur car le froid est piquant et la famille
des oliviers est parfois fantaisiste ; certains s'installent dans des
endroits inaccesibles et il faut grimper pour étendre les draps et secouer
les branches en pleine pente. Mais, la race des Cévenols est rude,
opiniatre et travailleuse. Seulement, en rentrant pour le "diner", nos
villageois en rajoutant une rasade d'huile à leur soupe, y ajoutaient un
verre de leur vin ; vin qu'ils fabriquaient eux mèmes : parfois infame
piquette qui en faisaient des centenaires. Ils mourraient "parce que c'est
la mode" et qu'il faut bien laisser la place aux générations suivantes;
Sans rejeter mes ancètres, je m'installerai en Provence. Les
fruits de mes aieux étaient piétinés par les pieds des hommes et parfois par
les pieds nerveux et halés de quelques jolies filles. Jeune olivier, mes
fruits connaitront les machines et je le regrette. Pour etre olivier l'on
n'est pas moins homme et l'on préfére la beauté à la mécanique.
Mais le monde continuera à tourner ; mes feuilles argentées
luiront au soleil, les cigales viendront me rendre visite. Bien implanté,
fier de ma force et de ma vertu, symbole de paix, je veillerai sur vous
encore longtemps.