Destination : 10 , Road Movie
Octobre sur Mars
Peu de temps après mon arrivée en Floride, malgré les six heures de vol coupées
de longs moments d’attente pour passer les douanes, mon accompagnateur ne me
donne pas plus d’une heure pour défaire mes valises et prendre une douche.
À Québec, ce matin, il faisait 2° seulement. Ici, il fait 35° et 100 %
d’humidité. Tout un contraste.
En quelques minutes, j’enfile l’habit et je m’assois dans le cockpit. La porte
se ferme. Bang ! La console se déplace et j’ai les écrans presque sur le nez. Je
suis dans le siège de l’ingénieur. Pas le choix, même si j’avais voulu être
pilote, le sort en a décidé autrement.
Le Capcom répète inlassablement les consignes : ne jamais fermer les yeux et
toujours regarder devant soi, ne jamais tenter de bouger de son siège ou tenter
de lever la tête de l’appui-tête.
J’abaisse l’espèce de baudrier-plastron qui me recouvre le haut corps. Tout
bascule vers l’arrière. Les trois autres sont aussi étonnés que moi. Personne ne
nous avait prévenus. Sur l’écran principal, on voit le ciel bleu, quelques
nuages et l’immense structure d’acier qui nous retient au sol.
Ça y est, le compte à rebours est lancé. Go !
Désorienté, ce n’est pas le bon mot. Complètement renversé. Complètement capoté.
Là encore c’est trop faible. Mes yeux ont de la difficulté à faire le focus et à
envoyer au cerveau les indications nécessaires pour me garder en équilibre.
Pire, ce que je vois ne correspond pas aux sensations que mon corps absorbe.
Tout ce que je vois, c’est une rampe de lancement qui semble s’avancer.
Je sens le vrombissement des propulseurs et l’accélération. Impossible. J’ai
l’impression que le baudrier de sécurité pèse une tonne, que mon visage s’étire
vers l’arrière. Plus de rides, la bouche grande ouverte. Tout un décollage.
C’est loin d’être fini. L’accélération diminue, mais le Capcom demande de lancer
le propulseur du second étage. Bang encore ! Une autre accélération épouvantable
pour sortir de l’attraction terrestre et se mettre en ligne pour attraper la
force de gravité de la Lune afin d’avoir un effet additionnel pour la poussée
vers Mars. J’ai encore l’impression de tourner la tête en bas. Et encore de
l’accélération. C’est incroyable. Extraordinaire !
Je dois mettre l’équipage en hibernation forcée. Il y a du givre à l’écran. Trou
noir. Puis, c’est la sonnette d’alarme infernale qui se déclenche. À l’écran… ça
bouge… des astéroïdes droit devant. Je vois les monstres de pierre surgir de
partout et ça brasse de tous les côtés pour éviter un, puis un autre et un autre
encore jusqu’à ce que j’aperçoive la surface de Mars.
Autre accélération pour la descente, mais ça ne se passe pas trop bien. Il faut
éviter les parois du canyon, tenir le manche à balai à deux mains, tourner à
gauche, à droite, encore à gauche, non à droite. Maudit que ça brasse ! On ne
voit pas encore le bout du chemin.
Tiens, le terrain d’atterrissage. Ça va trop vite… beaucoup trop vite. Il y a le
mur juste en face. On passe par-dessus, frappe un talus de neige, de glace et de
pierre, je n’ai pas très bien vu. Suis perdu.
On s’arrête presque. « Don’t move » nous crie le Capcom dans les oreilles. Ça
bouge toujours… Soudain, la glace se brise et l’on voit un autre canyon
épouvantable comme celui qu’on vient tout juste de traverser. Si on fait une
minute de plus, je ne sais pas si je serai capable de tenir. Faut que je sorte
de là au plus sacrant. J’ai vraiment l’impression qu’on repart à l’instant…Non.
Tout s’arrête.
Mission accomplie !
Je suis bien content. Les portes s’ouvrent. Je descends, mais titube un peu. Je
fais deux ou trois pas. Mon cerveau et mon estomac n’arrivent pas à se partager
les bonnes informations. J’ai bel et bien les pieds au sol. Je le vois, mais mes
yeux me donnent des messages contradictoires. C’est capotant !
Réaliste, ce sont les mêmes sensations, quelques G en moins que ce que subissent
les astronautes, affirment les spécialistes de la NASA.
Malheureusement pour moi, je crois avoir fait une baisse de pression en sortant
du cockpit de Mission Space, la nouvelle attraction de Disney. Je ne tiens pas
debout facilement. J’ai le nez au-dessus d’une poubelle. À l’odeur, je ne suis
pas le premier à être passé là !
Dire que j’ai fait tout ce chemin pour me retrouver la tête au-dessus d’un trou.
Je vous le jure, cette expérience-là je ne l’oublierai pas !
Partir en mission pour Mars, je voulais vraiment savoir comment ça serait.
Quelles sensations ! Il y a toute la mise en scène préparatoire avec Gary
Sinise, l’acteur du film Appolo 13, les consignes, la crainte, la pénombre, la
peur. Même si je suis « vieux », j’en voyais de plus vieux et des très jeunes
sortir des cockpits debout, la tête bien droite, mais les yeux pas tout à fait
en face des trous. Au moins, je l’ai fait ! Maintenant, je rentre à la maison.
Yves Therrien