Destination : 114 , Totalement cousu de fil blanc
L’inouï
Dehors, il fait froid. Je dis dehors, mais dans mon pays, dedans et dehors, c’est presque la même chose. Même si le dedans, forcément, est un peu séparé du dehors, au fond, ils sont de même nature… je ne sais pas si je me fais bien comprendre.
En même temps, qu’il fasse froid, c’est assez normal, comme le dehors pareil que le dedans. Ici, c’est l’habitude, en quelque sorte.
Moi, je me demande parfois si je suis aussi froid que j’ai froid, et si mon dedans se reflète sur mon dehors. Si on peut le voir, comme on me voit. En même temps, c’est une question un peu absurde, parce que pour que quelqu’un me voie, il faudrait qu’il y ait quelqu’un. C’est une question de logique. Vous me suivez ?
Allo ! c’est quelque chose que je me surprends à dire, quelquefois, en levant mon bras droit vers le ciel. Je sais bien que ce n’est pas le geste habituel de quelqu’un qui téléphone, je ne suis pas idiot, Bell n’a pas inventé une machine aérienne, je le sais. Encore que je ne sais pas comment ça marche, ces choses-là. Il y a bien des mystères dans la vie. Oui, je lève souvent mon bras vers le ciel. Je n’ai rien trouvé de mieux pour manifester mon envie de communiquer. Vous comprenez, il faut que ça se voie, parce que je doute quand même un peu qu’on m’entende.
Tiens, hier, j’ai été surpris, parce que, justement, quand j’ai prononcé mon « allo », j’ai cru entendre un écho. Mais, pour qu’il y ait un écho, normalement, il faut qu’il y ait une surface verticale sur laquelle le son rebondisse. Je crois que c’est comme ça que ça marche. Or, chez moi, dans mon pays, tout est plat. Je dois halluciner. Ca fait trop longtemps que je n’ai entendu personne.
Inouï, cet écho, quand même ! Pour un inuit, notez bien, c’est assez normal. C’est ce que je me suis dit, j’aime bien cette blague. Inouï, Inuit, vous saisissez ?
Bon, je me suis dit, si ça répond, tentons le diable… Pourquoi le diable, d’ailleurs ? Je n’ai pas réfléchi plus à cette image subliminale… et j’ai immédiatement déclamé un sonore « Bonjour », en levant la main encore plus haut, espérant que l’écho magique se reproduise.
Un grand silence blanc a accueilli ma tentative.
Le froid a gelé mes lèvres et ma main, pendant que j’attendais, le bras toujours en l’air, pour forcer le destin.
En vain. Je l’ai entendu nettement, pourtant. Peut-être ce signe venait de mon dedans ? C’est sans doute pour ça, oui.
Réfléchir, c’est ce qu’il me faut faire maintenant. Mais pas dehors. Dehors, il fait froid. J’arrête deux minutes de lancer au vent froid des mots perdus, et je vais tenter de délimiter le dedans du dehors. Mais dedans.
Si c’est possible.
Vous voyez bien ce que je veux dire ?
