Destination : 123 , En solo
LA FAÏENCE DE MOUSTIER
Je l'ai immédiatement reconnu malgré son triste état et les souvenirs, en chiens trop longtemps enchaînés, se sont jetés contre ma poitrine. Je les ai accueillis presque sereinement. J'avais appris, avec le temps, à accepter ma souffrance.
La maladie avait dévasté Paul en quelques mois. J'étais devenue veuve sans le comprendre. A son enterrement, je bougeais, je parlais, comme une mauvaise actrice dans un film absurde.
A l'instant où je suis entrée seule dans l'appartement qui nous avait connu si complices, si heureux, j'ai immédiatement réalisé que je n'avais que deux choix : me laisser mourir entourée de nos souvenirs, ou continuer à vivre en me débarrassant de tout. Je ne sais pas vraiment pourquoi j'ai choisi la seconde alternative.
Paul et moi étions des chineurs. Salles de ventes, marchés aux puces, brocantes, vides-greniers tout était prétexte à repérer l'objet rare, insolite, amusant et même laid s'il était touchant. Nous excellions à marchander. Nos collections hétéroclites envahissaient notre espace vital mais cela n'avait aucune importance.
J'ai décidé de tout donner à EMMAÜS.
« Mais, ma chérie, tu es folle ! Des objets d'une telle valeur, ils sont uniques à leur façon ! Si tu dois faire le vide, alors vends ! D'ailleurs, je suis preneuse de ce Moustier. Je l'ai toujours adoré ».
Désolée pour cette amie chère, j'ai tout donné à l'association. Ma survie était à ce prix.
Ensuite, j'ai vécu dans l'appartement comme on résiste sous une tente.
C'était donc à une vente de charité au profit des animaux abandonnés que les retrouvailles tant redoutées ont eu lieu. Sur des tables nappées étaient exposés des objets, dons de bénévoles. Le Moustier était exposé entre un vase imposant et coloré et une boite à ouvrage aux pieds d'argent. J'ai spontanément tendu une main vers lui comme on salue un vieil ami retrouvé. Comme tu as souffert !
« Désolé, Madame, ce plat a été réservé. Voyez la pastille jaune. »
J'ai répondu en forçant ma voix : « Réservé, bien, c'est une bonne chose, vraiment une bonne chose ».
Sauvée ! De justesse ...
FIN