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Solstice
Le plus dur avait été de réussir à sortir du village sans que personne ne s’éveille. Il n’avait respiré qu’une fois atteinte la lisière des bois. Il s’était enfoncé parmi les buissons, de plus en plus touffus. Le sentier avait maintenant disparu sous les fougères et les arbrisseaux. Plus personne ne l’empruntait, désormais et plus personne ne se souciait de le garder propre. C’était même tout le contraire et, au fond de lui, il appréciait de penser qu’il était encore le seul à en connaitre le secret. Pourtant, combien de fois en avait-il suivi les courbes, au cours de son enfance ! La procession qui s’étirait alors lui semblait démesurément longue… Il se souvenait d’avoir d’abord tenu la main de son père, tandis que sa mère portait dans ses bras sa petite sœur. Puis plus tard, c’était lui qui tenait la main de sa cadette, quand d’autres enfants avaient agrandi la famille. Il apercevait au loin les reflets des torches qui ouvraient le chemin.
Il avait respecté les anciens préceptes et, comme alors, il s’était mis en route à l’instant exact où le soleil s’était couché. Il savait qu’il lui faudrait une bonne heure de marche pour rejoindre le site. S’il n’était pas, cette fois, ralenti par la foule des villageois, c’étaient maintenant son âge et ses jambes vacillantes qui s’en chargeaient. Mais il était résolu, quel que soient le temps ou les obstacles qu’il devrait supporter. Avec tristesse, il se rendit compte que les années n’avaient pas effacé un seul détail permettant de retrouver la trace. Sa mémoire était intacte, alors il se laissa guider.
La courte nuit en était déjà à sa moitié quand il déboucha enfin dans la clairière. Tout aussi abandonnée que le chemin qu’il venait d’emprunter, il mit un peu de temps à retrouver ses marques. Les pierres, qui formaient autrefois un cercle parfais, étaient couvertes de mousse et, pour certaines, gisaient au sol, brisées. Comme ses souvenirs, comme son passé, comme tout ce qui avait été son quotidien avant l’arrivée brutale des Autres. Il n’était encore qu’un adolescent, mais il savait combien leurs certitudes avaient été bouleversées. Ils avaient dû abandonner tant de choses, à commencer par leurs rites et leurs croyances, pour adhérer à une nouvelle vision du monde. Il était jeune alors, il s’était laissé séduire par de belles paroles agrémentées de promesses éternelles. Et la vie avait passé. Il s’était marié avec une fille du village, avait eu des enfants dont certains n’avaient jamais eu la chance de grandir. Il avait travaillé dur, chaque jour de chaque semaine, à l’exception du jour saint. Comme pour le reste, il s’était laissé porter par les célébrations qui désormais, marquaient la vie de chacun. Il lui semblait que la vie était simple, difficile mais simple, encadrée de rituels immuables et élaborés par les Autres.
Mais en vieillissant, le doute s’était emparé de lui. Il avait peu à peu mesuré l’arrogance de cette foi : comment imaginer qu’il puisse exister un être supérieur qui avait créé le monde et les hommes à son image ? N’était-ce pas plutôt l’inverse ? Tout cela n’était-il pas le fruit d’un orgueil monumental, comme seul l’homme, parmi toutes les créatures de la Terre, en était capable ? Car si, dans la nature, il est un être faible et fragile, c’est bien lui ! Il fut vite convaincu que tout cela n’était que folie… une folie humaine de laquelle il voulait s’évader pour retourner aux origines de celui qu’il était et que, finalement, il avait toujours été. Il n’était plus un enfant, désormais et il ne laisserait personne lui voler son identité une deuxième fois.
Il s’assit dans ce qui lui sembla être le centre du cercle des pierres et, incapable d’allumer un brasier digne de ce nom, il se contenta de quelques flammèches tirées de petites brindilles. Son regard se perdit dans les lueurs orangées tandis que dans sa tête, résonnaient les chants de joie et d’espoir qui avaient bercé son enfance. Il revoyait les gestes sacrés, venus d’une mémoire millénaire ; les visages de ceux qui aujourd’hui, avaient disparu depuis longtemps.
Bientôt ce serait son tour. Et il ne voulait pas, il ne pouvait pas accepter l’idée d’être enseveli dans la terre. Cette simple idée lui provoquait la sensation d’étouffer. Il ne voulait pas plus de ces psalmodies plaintives. Seulement le silence et, en guise de cantique, le chant des oiseaux.
Quand le soleil se leva, pour cette nuit la plus courte de l’année, son feu s’était éteint. Il reposait, allongé sur le dos, le regard tourné vers le levant. Il souriait.