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Les Oreilles des Murs
Cela faisait maintenant deux ans qu’Hugo travaillait à l’’INREES (Institut de recherche sur les expériences extraordinaires). Après des études de chimie très rigoureuses et quelque peu rébarbatives, il avait été enthousiasmé par l’approche originale proposée dans ce laboratoire atypique qui étudiait, de manière scientifique et raisonnée, tous les phénomènes étranges et inexpliqués, sans aucun parti pris.
D’abord stagiaire, il avait rapidement acquis de nouvelles responsabilités avant d’être nommé chef de projet. Avec son équipe, il avait donc décidé de vérifier une bonne fois pour toutes si, oui ou non, les murs ont des oreilles.
Pendant six mois, ils avaient réfléchi à la mise en place d’un protocole complexe. En effet, pour mener à bien leur recherche, il fallait qu’ils travaillent sur une double problématique : pour démontrer que les murs ont des oreilles, il était indispensable de d’amener le dit-mur à restituer ce qu’il avait entendu. Se posait alors une autre question, et non des moindres : dans quelle mesure un mur est-il capable de mémoriser ce qu’il entend ou perçoit ?
Dans un premier temps, l’équipe d’Hugo sélectionna des murs différents afin de constituer un panel le plus exhaustif possible : matériaux de construction divers (bois, pierre, brique, torchis), ancienneté variée et histoire plus ou moins chargée en évènements marquants. Les murs furent repérés dans une zone restreinte car l’équipe devrait impérativement déplacer tout le matériel nécessaire sur le site.
Chaque mur était ensuite « préparé » pour l’expérience. Longuement ausculté, il était soumis à des tests de permanence et de réceptabilité, grâce à des ondes électromagnétiques. Une fois cette phase effectuée, on pouvait passer à l’expérience proprement dite. Un appareil sonore était placé face au mur et émettait, à intervalles réguliers, des « intrants auditifs » allant de l’infra à l’ultra son. La réaction du mur était enregistrée par des capteurs extrasensoriels posés à différents endroits du mur. Cette phase de l’expérience durait huit jours, puis l’équipe récupérait le matériel pour en étudier les résultats.
Les découvertes furent stupéfiantes. Il s’avéra en effet que les murs réagissaient aux sons, quels qu’ils soient, audibles ou inaudibles pour une oreille humaine. Les premiers suscitaient une réaction vive, comparable à un sursaut de surprise ou une accélération cardiaque. Mais, après quelques jours, la réaction était plus légère, comme une habitude prise, un ronronnement du quotidien. Et cela, quel que fut la nature et les particularités du mur. Une petite inattention permit même d’aller plus loin dans l’expérience : un membre de l’équipe ayant oublié de récupérer un capteur, on se rendit compte que, même après avoir retiré l’appareil sonore, le mur « attendait » les sons selon la fréquence paramétrée et il fallait que passent plusieurs semaines pour qu’il ne les « oublie ».
La première phase de l’expérience était un succès : les murs entendaient bien les sons et étaient même capable de mémoriser sur le court terme. Maintenant, Hugo et son équipe avaient à cœur de tester les capacités mémorielles des murs et, in fine, de découvrir un moyen de leur permettre de restituer leurs souvenirs…
«Evidemment, nous n’avons pas d’oreilles. Pas plus que des yeux, un nez, ou une bouche. C’est une expression, une légende urbaine, une façon de rappeler à chacun qu’il faut rester prudent. Mais ce n’est pas parce que nous n’avons pas d’oreilles que nous ne percevons rien. Notre surface toute entière est un récepteur puissant et efficace qui perçoit chaque vibration, principalement les vibrations sonores. Et nous seulement nous percevons, mais nous enregistrons. Nous sommes nourris de cette vie humaine, animale, minérale qui s’agite en notre sein et notre solidité tient autant aux qualités du maçon qui nous édifie qu’à la stabilité de ceux qui nous entretiennent. Nous sommes les spectateurs muets et impuissants de tous les évènements de vie, dans la joie ou dans la tristesse, la douceur ou la violence, le silence ou les cris. Les vies, les histoires s’accumulent dans nos entrailles, comme autant de strates archéologiques. N’allez surtout pas imaginer que nous serions en quelque sorte vivants, doués de conscience ou de raisonnement. Non, loin de là. Si je devais mettre en image ce que nous sommes, alors je crois que le plus approchant, ce serait un appareil d’enregistrement à déclenchement automatique mais sans aucun état d’âme. Ce que nous enregistrons glisse sur nous et se dépose, sans nous donner à ressentir la moindre émotion, le moindre sentiment. N’oubliez pas que vous êtes face à un mur. »
L’équipe d’Hugo avait essayé des dizaines de protocoles mais aucun n’avait fonctionné. Il paraissait impossible de trouver un moyen pour faire parler les murs. C’est alors qu’il avait décidé de revenir aux origines, c’est-à-dire les premières expériences menées par le fondateur de l’institut, le professeur Allix. Si celui-ci avait fait appel à un médium pour dialoguer avec l’au-delà, pourquoi n’en ferait-il pas autant pour dialoguer avec les murs ?
C’est ainsi qu’il fit la connaissance de Katryn, médium expérimentée et reconnue par ses pairs comme étant la plus fiable et la plus performante dans la profession. Un soir, Karine et Hugo se rendirent dans une vieille maison en campagne, isolée, abandonnée à son sort depuis une dizaine d’année. Immédiatement, Katryn ressenti les énergies de ceux qui étaient nés, avaient vécus, étaient morts là. Il lui fallut se défaire de ses esprits avant de pouvoir accéder à la maison en elle-même. Mais, enfin, après des dizaines de tentatives, un soir de pleine lune, Katryn entra en résonnance avec le mur de la maison. Elle put revivre, uniquement par les sons, les différents moments qui avaient marqué la vie de cette maison. Le cheminement se faisait au fil des évènements, du plus récent au plus ancien. Elle se rendit compte que les enregistrements étaient tous de même intensité : qu’il s’agisse d’un évènement anodin ou spectaculaire, le mur ne faisait pas de classement hiérarchique. La séance dura près de trois heures à la suite desquelles, Katryn, épuisée, eut besoin de plusieurs jours pour se remettre. Il faut dire que, la plupart du temps, les évènements étaient d’un ennui profond.
Hugo était heureux. Son hypothèse de départ avait été vérifiée. Son équipe et lui purent fêter le succès de cette expérience. Sur le plan pratique, cette découverte n’allait bien sûr par chambouler la vie de qui que ce soit… hormis peut-être celles de la police scientifique qui disposait maintenant d’un nouvel outil fiable et précieux pour élucider les meurtres. A condition évidemment de travailler avec un bon médium !