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Destination : 27 , L'incipit d'Antoine B.

Tombé du Ciel

Après la seconde guerre mondiale, les trains recommencèrent à rouler. Enfin, ce n’est pas exactement qu’ils avaient arrêté. Disons plutôt qu’il ne passait plus que certains trains… des trains spéciaux, comme on disait à la ferme. Il faut dire qu’on était rudement bien placés. La voie ferrée passait entre les collines, au milieu de nos prés. Et comme la montée était assez raide, la locomotive était obligée de ralentir juste à cet endroit.

Avec mes frères, on aimait bien regarder passer les trains. Déjà, avant la guerre, quand on gardait les vaches, on faisait de grands signes aux conducteurs qui nous le rendaient bien. Les voyageurs aussi, surtout les enfants des villes qui écarquillaient les yeux en nous voyant pieds nus au milieu des vaches.

Quand la guerre est arrivée, il y a eu de moins de trains alors, quand il en passait un, on était drôlement contents ! Il y avait ceux qui venaient dans un sens, ils étaient remplis de familles et de valises. Les gens avaient l’air triste et effrayé. Ils nous faisaient parfois des petits gestes mais pas souvent. Dans l’autre sens, les trains étaient remplis de soldats et de marchandises réquisitionnées pour l’armée. Et puis après, on n’a plus rien vu pendant un moment.

Quelques mois plus tard, on en a revu de nouveaux. Ceux-là, on pouvait pas voir ce qu’ils transportaient, les wagons étaient fermés comme s’ils étaient remplis d’une marchandise précieuse. Il n’y avait qu’une ouverture étroite qui laissait passer de l’air en haut. On voyait rien mais, mes frères et moi, on a vite compris qu’ils étaient remplis de gens. Le train était bien obligé de ralentir pour monter la colline et on entendait les pleurs des enfants, les gémissements des femmes, les voix sourdes des hommes. On savait pas où ils allaient mais on savait qu’au retour, le train était toujours vide.

Une fois, il est arrivé une chose incroyable. La locomotive était presque à la moitié de la colline et elle devait être bien remplie parce qu’elle avait beaucoup ralentie. A ce moment, on a vu deux mains passer par l’ouverture et jeter un paquet qui a dévalé la pente. Quand le train a été parti, mes frères et moi, on s’est précipité en espérant trouver un peu de nourriture ou de l’argent. Quelle déception ! C’était un bébé.

Il était tout abimé, couvert d’égratignures, les yeux fermés et il ne bougeait plus. On a pensé qu’il était mort et que c’était pour ça qu’on l’avait jeté du wagon. Alors on s’est dit qu’il fallait le ramener pour qu’il puisse être enterré au cimetière. Mes frères ont dit que c’était moi qui le porterais à la maison. J’étais dégoutée de toucher un mort mais, comme j’étai la plus petite, ils m’ont pas laissé le choix.

Quand ma mère a vu le bébé, elle a tout de suite arrêté son travail. Elle est rentrée avec lui dans la maison et elle a nettoyé son visage avec un peu d’eau froide. Il s’est mis à hurler, il n’était pas mort ! Maman s’est occupée de lui et on l’a gardé avec nous. C’était une fille et, en attendant, on l’a appelée Marjolaine.

Quand la guerre a été finie, on a essayé de retrouver ses parents. Mais personne n’est venu. Alors elle est restée avec nous, Marjolaine. De toute façon, elle faisait déjà partie de la famille. J’avais enfin une sœur ! Elle venait avec moi pour s’occuper des vaches et regarder passer les trains. A force de les voir, ça nous a donné envie de voyager, nous aussi. De sortir de ces collines qui ralentissent la vie, de quitter la ferme avec les vaches comme seul horizon. On s’est fait la promesse, toutes les deux… Un jour nous prendrons des trains qui partent.

myriam