Destination : 31 , Une saison Ailleurs
Un été aux urgences
C'était une journée de travail normale, une belle journée d'été, je me
souviens que je portais une robe rouge, courte et décolletée et que j'étais
spécialement en forme ! Je prenais mon repas à la cantine avec mes
collègues, quand un simple coup de fil sur mon portable, modifia le cours de
ma journée et le reste de l'été.. C'était un 29 juillet.
Aux urgences, maman attendait sur un brancard, je l'écoutais raconter l'
attente angoissante, allongée sur l'allée en pierre de son jardin,
immobilisée par la douleur, impuissante, seule. Ses cris que mon père dû
entendre, les avait-il compris? Savait-il qu'elle était tombée et qu'elle
gisait là, impuissante. ou bien était-il dans un monde de silence isolé de
toute perception du monde.
C'est vers lui en premier que je m'étais précipité depuis mon lieu de
travail ; maman avait commencé à le faire manger, j'ai trouvé la soupe dans
le bol, je l'ai fait réchauffer et lui donnait à la cuillère tout en lui
expliquant ce qu'il s'était passé. Celle qui s'occupait de lui, ma mère,
était à l'hôpital pour un certain temps, qu'allait-il devenir ? il me
semblait impossible de la remplacer, pourtant j'étais là, la cuillère à la
main, et il ouvrait la bouche comme un gosse.
C'est seulement quand la garde malade est arrivée que j'aie pu aller voir
maman. J'avais trois bonnes heures devant moi pour rester près d'elle. Les
urgences étaient en effervescence, mais au moins il y faisait frais, l'
attente fut longue, moi debout à côté d'elle dans son chemisier blanc à
broderie anglaise, sa permanente, son rouge à lèvre, elle ne paraissait pas
son âge, l'âge de se casser le col du fémur.
Les radios confirmèrent ce diagnostic, mais en plus elle avait son poignet
cassé, tout ce qu'il faut pour enfin lui permettre de penser à elle, avoir
le droit de laisser son mari à d'autres mains. Dommage d'en être arriver là.
Les autres mains furent les miennes et celles de ma sour aînée.
Elle arriva le soir même et à partir de là on était deux et ça changeait
tout. Je nous revois debout devant notre père en train de chanter « nous
sommes deux sours jumelles » pour avoir un sourire de part. Sans succès, il
était prostré, triste, le regard vide, et nous riions pour nous donner du
courage.
Le soir nous retrouvions nos maris, mes enfants, essayant de ne pas penser à
tout ça, l'infirmière l'avait mis au lit, il dormait sans souffrance.
Ce fut cela pendant trois jours, dés qu'on pouvait on filait voir maman à la
clinique, et la vie normale semblait en suspens.
Le quatrième jour, un dimanche, mon père tomba malade et nous dûmes appeler
SOS médecin. Vers 15h il partit aux urgences alors que j'étais rentrée une
heure chez moi pour me reposer. Ma sour et son mari s'en occupaient. J'étais
dans ma piscine, suivant les événement avec mon portable, tout en profitant
du soleil, bien consciente que le reste de la journée allait se passer aux
urgences. Je prenais des forces sous les rayons, je profitais pendant une
heure de ces jours d'été qui passent si vite. Je savais que j'allais foncer
à la clinique et qu'il fallait profiter du seul moment de repos de cette
journée qui avait commencé dès 6h du matin.
Je passais effectivement la soirée aux urgences, pendant que ma sour restait
auprès de maman sans lui dire que son mari venait de la rejoindre dans la
même clinique.
L'attente dans un boxe près de lui haletant, en difficulté respiratoire fut
le pire moment de ce mois d'août, je ne pouvais le quitter, essayant de le
réconforter par ma présence mais au bout d'un moment je pleurais tellement
qu'un infirmier m'a prié de sortir.
Vers 22h on m'a dit qu'on allait garder mon père et lui donner une chambre.
Mes parents étaient à présent dans la même clinique et nous avons fini par
avertir maman. Nous avons organisé une rencontre, mes deux sours étaient là,
nous avons pris maman en chaise roulante et l'avons amené au bout du
couloir, chambre 201.
Nous avons pris des photos de ces retrouvailles, nous sommes là toutes les
trois sur la photo, souriantes au-dessus du lit de papa, et maman en premier
plan est en train de lui parler.
Quand il est mort 15 jours plus tard, maman était allé lui rendre visite
dans la matinée. Elle faisait ses exercices avec le kiné, et avait voulu
marcher jusqu'à sa chambre, un exploit en quelque sorte.
Moi ce jour là, je n'avais pas pu aller le voir.
Ma sour Marie lui avait mis un CD de Barbara Hendricks avant de le quitter
vers 19h.
Ma sour Sophie et mon frère devaient arriver le lendemain, c'était prévu
depuis quelques jours.
Quand le médecin de garde m'a appelé vers minuit, je me suis rendu compte
que même quand on s'attend à la disparition de quelqu'un, cela n'a rien à
voir avec ce qu'on peut imaginer.
L'arrivée à la clinique en pleine nuit. le voir.
Voir la mort, voir son père ainsi parti de son corps maigre, ses yeux
fermés, sa tête renversé. Violence de cette image à jamais en moi.
Et maman à l'autre bout du même couloir, dormait-elle ? Demain nous irons
lui apprendre la triste nouvelle.
Le lendemain, longtemps après : exposé à la chambre funéraire, on l'avait
fait beau, ils lui avaient mis le costume qu'on était allé chercher, une
belle chemise et une cravate, il était comme avant lorsqu'il n'avait pas
encore sa maladie et qu'il arpentait son magasin d'étage en étage. Comme j'
en était fière alors.
Mes frères et sours et moi veillant son corps, puis réunis dans la petite
pièce à côté pour répéter les poèmes qu'on avait décidé de lire pendant la
messe. Nous devions chacun lire une strophe d'un poème de mon père. Il
parlait de sa mort, l'avait tellement préparé. Pendant la répétition, nous
avons versé des larmes et eu des fou rire, jamais nous ne pensions y
arriver.
Pourtant durant la messe tout s'est bien passé.. Le poème fut dit, nos voix
déchirées par l'émotion prononcèrent les vers que notre père avait écrit dix
ans avant, dans le seul but de nous consoler le jour de sa mort.
Maintenant l'été vient de se terminer, je relis les nombreux poèmes que mon
père nous a laissés, certains me sont adressés, je vois mon prénom rajouté
de son écriture tremblante sur le papier dactylographié.
Je me demande si je l'ai remercié de ce cadeau, de cet héritage qu'il m'a
laissé : le goût d'écrire qui parfois m'aide à passer les moments
difficile.