Destination : 178 , Découverte


Le poteau rose

Lorsqu’il se jeta à corps perdu dans des recherches littéraires très pointues, Achille n’avait aucune idée de ce qu’il finirait un jour par trouver. Son problème était de parvenir à lire, car les recherches littéraires demandent de la lecture, et pas qu’un peu, alors que, normalement, il était en vacances. Et qu’il faisait (très) chaud. Et que ses petits-enfants, âgés de 6 et 3 ans, étaient chez lui pour passer joyeusement cette fin d’été. Il avait déjà découvert, et c’était là un début prometteur, que le mieux, pour lui, était de travailler la nuit, à la fraîche, dans le silence et la solitude, à la lumière blafarde de son écran.

Toutefois, le plus dur était à venir : une fois trouvé ce qu’il lui faudrait bien découvrir, il lui faudrait le décrire et le soumettre à la sagacité des «autres», les lecteurs-auteurs de l’Atelier Ailleurs, réputés très exigeants. Du moins, certains d’entre eux et certaines d’entre elles...

De son cerveau généralement pétillant, mais pourtant cette fois légèrement ramolli par la canicule, il se demanda d’abord : «et si je découvrais Lammerick?». Puis il se ravisa : «cette sympathique famille américaine, ici, en France, tout le monde s’en fiche».

C’était mal parti. Certes, depuis le début de sa vie, il avait déjà pas mal découvert. Cependant, tout ce qui est découvert n’est pas forcément racontable. Tenez, sa ravissante épouse, par exemple, qui dort rigoureusement nue sur son drap en raison de la chaleur, Achille ne veut garder cette vision que pour lui seul.

Dans un autre ordre d’idées, pensa-t-il également, un bête découvert bancaire, est-ce que ça vaut une ligne ailleurs que sur votre relevé de compte?

Il est aussi des découvertes que certains auraient pu se passer de partager : la bombe atomique, la tyrannie, certaines substances très toxiques, et j’en passe...

Puis Achille repensa à l’Amérique : tout le monde connaît Christophe Colomb, qui l’a, paraît-il découverte. A moins qu’il ne se soit agi d’Amerigo Vespucci, voire des Vikings, quelques siècles plus tôt. Mais qu’importe ! Ce qui est important c’est qu’ «on a découvert l’Amérique». En revanche, ce qui est étrange c’est que jamais au grand jamais on n’a découvert l’Europe. Ni l’Asie. Ni l’Afrique. Peut-être l’Océanie ou l’Antarctique, et encore faudrait-il savoir qui l’a fait!

«Chic!», se dit Antoine, indécrottable amateur d’expressions désuètes, «je tiens enfin ma découverte : sur cinq continents, l’homme, cet incapable, n’en a découvert qu’un seul, l’Amérique».

Pourtant, il n’était pas vraiment convaincu de l’intérêt de sa découverte. Cette dernière, en effet, brillait par son manque absolument total de caractère pratique. A quoi peut bien servir une découverte qui... ne sert à rien? Achille sentait bien que, s’il osait la proposer à ses collègues auteurs-lecteurs, les sifflets, les huées, voire les tomates (c’est la saison) jailliraient très vite des travées virtuelles de l’Atelier Ailleurs.

C’est alors que sa merveilleuse épouse s’éveilla en sursaut, se découvrant encore un peu plus - même si elle était déjà nue, elle se découvrit encore un peu plus, enfin, à ses yeux - et lui dit : «Chéri! Les enfants ont attaché le chien au fond du jardin et il m’a réveillé avec ses pleurs. Tu peux t’en occuper?»

Grommelant intérieurement, Achille se dirigea vers les jappements du toutou, qui tremblotait malgré la chaleur dans la lumière glauque de la lampe de poche. «Ah! Ces mômes!», pensa-t-il. Mais illico, il éprouva pour ses petits-enfants une reconnaissance justifiée : rentrant à la maison pour dîner, ils avaient oublier de libérer le chien, dont ils avaient passé la laisse dans un piquet de croquet. Le rose.

Jérôme Daquin