Destination : 87 , Vous !


Brève dissection

Séance de Laura, 1er juin 2007 (bande no 96) :
Elle paraît extrêmement calme. Ca me change agréablement de ces derniers temps, où elle me faisait dans l’hystérie caractérisée. Le début d’une nouvelle période, j’espère. Elle démarre sur un rêve :

« je suis toute nue dans une baignoire, au fond du jardin familial… »

Ca y est, c’est parti, les deux pieds sur le guidon, ça commence bien, quand je pense que toute ma vie, je suis destiné à interpréter des symboles aussi grossiers. Toujours de la flotte, ça me rappelle mon grand père qui était marin, finalement, on est dans la même branche, tous les deux. Enfin, les branches et la marine, ça n’a rien à voir, si on y pense bien… Je suis bien un digne fils de la famille Machin… Tiens, elle s’est tue… Déjà ! Je m’y fais pas, à m’appeler Machin. Associez librement qu’ils disaient. Un bon coup de liquide amniotique, et ça repart… mieux que Mars !

Vous feriez quoi, à ma place ? Vous l’auriez déjà relancée, avec l’habituel « oui » et surtout l’inflexion qui fait sentir les points de suspension… L’inflexion sur les points de suspension, c’est le B.A. BA de la profession… Mais sans rajouter encore le « et qu’en pensez vous » ? Trop tôt. Plutôt vers la fin du rêve ? Vous ne croyez pas que, pour une fois où elle n’a pas l’air partie sur un mode totalement logorrhéique, je fais mieux de m’abstenir ? Vous ne pensez pas que je connais mon boulot à fond, depuis le temps ? Vous, non, à ce que je sache. Votre truc, à vous, c’est la lecture. Alors, chacun son job. Contentez-vous de lire, OK ? Enfin, si vous voulez. Vous pouvez aussi faire autre chose. Aller déguster une glace à la cannelle, par exemple, ou ce que vous voulez d’autre. Je m’en fiche un peu, de votre vie, pour tout dire. Je dois déjà me farcir celle de tous mes patients, je ne vais pas en rajouter inutilement.

Je me mets en pilote automatique, ses ingrédients, je les connais comme si c’étaient les miens, dans 5 minutes, elle va me parler d’un endroit caché et poussiéreux, un peu honteux.

« …plus précisément sous la haie, parmi des monceaux de brindilles. Et j’ai honte, pourtant je ne fais que prendre un bain anodin »

Ben, mon vieux Machin, je te l’avais pas dit, celle-là, la brindille, on me la fait pas, on le sait qu’elle a surpris son père nu en train de se fricoter le machin. Brindille, quand même, la dernière fois, si mes souvenirs sont bons, j’avais eu droit à pieu. L’image du père perdrait-elle de sa force ?

Vous vous croyez malin parce que « vous avez une grande habitude de la lecture interprétative ». Vous vous la péteriez pas un peu, par hasard ? Oui, j’ai dit « fricoter le machin » et je m’appelle Machin. Et alors ? Vous pourriez me laisser deux minutes me concentrer sur le contre-transfert ? C’est trop vous demander, un peu de silence ? Vous aimez bien me donner à penser… Mais depuis quand c’est dans vos attributions, à vous ? Dites-vous bien que j’écris et je dis exactement ce que je veux. Je ne vais pas me laisser déstabiliser par le premier commentateur à la manque. Je suis un véritable professionnel. Avec pignon sur rue, depuis longtemps. Docteur Machin, grand spécialiste de la chose… C’est bien clair ?

« …Etrangement la baignoire n’a qu’un bord. Sur ce rivage, je crois que c’est le mot adapté, il y a une grenouille verte, couverte de lichen. »

Connue pour sa présence comme objet libidineux chez les névrosés à tendance obsessionnelle. Le lichen, ça fait vieille grenouille pourrie, verte – à moitié moisie – ça, ça a une relation directe avec ses angoisses à propos de ses taches sur les mains. Sa peur de la grotte. Bon, encore un grand classique. Mais un seul bord, ça veut dire qu’il y a peut-être la possibilité d’une île. Ouaf, pas Houellebecqu au milieu, non, reprends-toi, Machin. Plutôt une issue. Encore que, s’il n’y a pas de bord, il n’y a pas forcément de fin ?

Vous avez lu des trucs qui pourraient m’en remontrer sur la symbolique de la grenouille, du pithécanthrope à nos jours ? Ca peut renvoyer à du plus subtil ? Dites donc, vous ne pensez pas que depuis 8 ans que je la fréquente, j’ai appris à me balader sans carte dans le fouillis de sa tête ? Vous allez rester à votre place, parce ça commence à m’échauffer, tout ça. Si vous continuez, je vais me mettre à interpréter librement votre passion pour la grenouille du pithécanthrope. C'est ça que vous voulez ? Ca va pas faire un pli. Ah, vous la ramenez moins, je me trompe ? Je vais faire exactement comme je le sens. Taire ma grande gueule, comme le pro que je suis. Ca, c'est la technique de base. Laisser émerger son inconscient, pas le mien. Le mien, on s'en tamponne ici. Simple lecteur (comme je te dirais « simple mortel »), prends-en de la graine. Ferme-la un peu, tu me fatigues dru. Tiens, je suis passé au tutoiement. T’as vu, mon grand, c’est ça, fréquenter des stars de la psy ? J’espère que t’en es fier…

Bon, elle continue. Je vais la laisser finir, après, je dissèque son truc, comme une grenouille – ha ha - vite fait bien fait. Je suis vraiment un expert :

« Je m’observe de l’extérieur, comme s’il s’agissait d’un film, avec une bande son : une chanson fredonnée… »

… freud-donnée, ha, ha !

Ferme-la, je t’en supplie, j’ai du mal à me concentrer aujourd’hui. Ne t’en mêle pas.

« de façon presque marmonnée, avec des bribes de paroles, que je ne suis pas certaine de reconnaître : ça ressemble pourtant à une chanson réaliste de l’entre-deux guerres, que mon père chantait dans les banquets, avec un franc succès : Le train du malheur. Je crois. Je me dis que ce n’est pas la bande son qu’il faudrait après une vie de labeur, consacrée à la recherche fondamentale. Je préfèrerais la chanson : Un sou, c’est un sou. »

Un fou, c’est un fou… soyons flou, mon Afflelou… nuit de chine, nuit câline… On se calme, on oublie Juliette, on se recentre. Elle continue. Pas logorrhéique, mais pas loin quand même…

« J’essaie de la chanter, devant un public, mais il ne me vient rien. Je voudrais m’enfouir sous la haie, mais je suis toujours nue… Quand je me réveille, je suis en nage, humide comme si mon corps sortait de la baignoire, et je ne suis pas sûre que la chanson Un sou, c’est un sou existe. »

Elle rajoute, dans la foulée, qu’il ne faut pas compter sur elle pour associer librement aujourd’hui. Ce rêve la « dé-passe ». C’est le terme qu’elle emploie. Elle le prononce comme si elle disait « des passes » (match de tennis, ou péripatéticienne en action ?). Bon, une pute qui a Allzheimher, c’est pratique pour les macs, elle bosse comme une folle sans se souvenir de ce qu’elle a fait. Et elle gagne de l’argent, elle devient rentable. Je crois que tout ça me fatigue, je ne vais pas insister pour qu’elle associe. Je ne vais pas lui demander ce qu’elle en pense. D’ailleurs, je m’en fous totalement. Je suis cre-vé.
Envie d’un bon bain, pourquoi pas dans le jardin, avec le soleil pour témoin…

Lecteur de mes deux, je sais exactement le fond de ta pensée. Je devrais prendre les choses au sérieux, elle m’a quand même parlé du train du malheur… et on sait bien qu’il ne faut pas rigoler pas avec la chanson réaliste… Tu vois, je vais te dire un truc : je rigole de ce que je veux. Comme je veux. Quand je veux. J’ai déjà mon public fidèle. Et toi, si t’es pas content, ben, t’achètes Houellebequ, ça te va ?

Bien… c’est fini pour aujourd’hui. Au revoir, mademoiselle.

Christine C.