Destination : 110 , Répétitions particulières


L’ABSENTE



« Dehors l’orage grondait et je n’imaginais pas encore que la porte s’ouvrirait si violemment. »
La phrase résonnait encore et toujours en lui comme un leitmotiv. Elle l’obsédait jour et nuit depuis ce jour d’octobre, il y a 13 ans ………..

Ce jour là, l’inspecteur Yann Caradec se préparait à quitter son bureau. La journée s’était étirée péniblement dans un quotidien banal car rien d’extraordinaire ne venait jamais troubler la quiétude de cette petite ville de province où il essayait de chasser son ennui. C’est alors qu’il vit entrer un fantôme !
Mi-ange, mi-démon, sale, trempée, à moitié nue, la jeune femme qui se tenait devant lui aurait relevé de l’irréel, si elle n’avait été accompagnée d’une brave grand-mère. Celle-ci l’avait trouvée errant dans la rue et, défiant la pluie, l’avait guidée tant bien que mal jusqu’au commissariat .

Yann plongea dans la profondeur océane du regard fantasmagorique. A partir de cet instant, foudroyé, sa vie bascula dans une autre dimension.
Retrouvant ses esprits, ses premiers gestes furent de couvrir la demoiselle, de lui proposer une boisson chaude, de la réconforter, de l’apprivoiser, puis de l’interroger. La terreur sembla peu à peu l’abandonner même si la peur restait encore bien palpable. En état de choc, elle ne cessait de répéter :
« Dehors l’orage grondait et je n’imaginais pas encore que la porte s’ouvrirait si violemment. »
Le langage un peu précieux, la voix douce et limpide contrastaient avec l’allure très négligée et renforçaient l’étrangeté de cette apparition.
Yann la confia aux services sociaux compétents et rentra chez lui hypnotisé par le mystère qu’abritaient de magnifiques yeux azur !


Pendant 13 ans , il chercha , enquêta , questionna , fouilla, ne négligeant ni sa peine, ni celle de ses hommes , ni les moyens mis en œuvre pour percer le mystère de celle que l’on avait prénommée Claire !
Ses recherches ne donnèrent aucun résultat ! Il ne découvrit jamais qui elle était, d’où elle venait, ce qui lui était arrivé et il avait bien failli en devenir fou.
Les médecins, quant à eux, avaient diagnostiqué une amnésie profonde, une malnutrition ancienne, un cœur extrêmement fatigué. Elle ne portait aucune trace de coups, elle n’avait jamais subi de sévices, était encore vierge et ne supportait pas qu’on la touche ! Rien de plus ! On avait supposé un probable et long enfermement.

Depuis 13 interminables années, amoureux d’une absente, Yann lui rendait visite espérant un miracle ! Il l’entourait, la protégeait, la berçait d’un amour platonique qui le rongeait.
Elle était belle à se damner.
Dans le visage d’un ovale parfait, le regard s’enfuyait des prunelles en amande. Les yeux, toujours en action, s’agrandissaient , s’écarquillaient , se mouillaient et, sur les cils longs et délicatement courbés souvent, perlait une larme . Les sourcils épais, bien dessinés se fronçaient au moindre bruit. Des joues creuses, ressortaient les pommettes qui rosissaient dès qu’on l’abordait. Le nez, légèrement retroussé apportait une touche enfantine à ce beau minois. Elle ne riait jamais, mais parfois esquissait un sourire. Les lèvres s’ouvraient alors sur des dents d’une blancheur virginale. Les cheveux fauves, ondulés lui donnaient une allure de sauvageonne. La peau satinée révélait un corps un peu maigre, mais néanmoins musclé. Les jambes élancées contribuaient à une démarche aérienne, gracieuse. Le fantôme était devenu sirène ! Seules les mains fines, en perpétuel mouvement et le regard pénétrant témoignaient d’une fragilité intense, d’une anxiété incontrôlable, d’une douleur infinie, d’une souffrance bien réelle . Mais impossible de percer le passé douloureux de Claire ! Elle attendait les visites de Yann, elle appréciait ses conversations, ses cadeaux, elle lui souriait, elle laissait alors fugacement transparaitre sa joie, sa tendresse, peut être son amour, mais elle ne lui avait jamais rien dit ! Ni au psy, ni à personne ! Elle était restée murée dans son silence, se contentant de psalmodier cet éternel refrain :
« Dehors l’orage grondait et je n’imaginais pas que la porte s’ouvrirait si violemment. »

Yann était à présent arrivé devant son commissariat. Machinalement, ses pas l’avaient conduit ici. Il monta, s’assit à son bureau. Il était trempé mais n’avait rien senti de la pluie battante. Il prit un dossier, l’ouvrit et inscrivit : vendredi 13 octobre 2013 décès de Claire X.

C’était fini ! Elle était morte, emportée par son cœur épuisé.
Sous l’assaut d’une vague de larmes, il referma précipitamment le dossier vide !
« Il est de jours et de lunes, des saisons et des années où la poussière efface l’entendement. »

Chrystelyne