Destination : 204 , A contre courant
dest. 204: A contre courant - Le journal d'une emmerdeuse
Destination 204 : A contre courant.
A contre courant ou le journal d'une emmerdeuse, retrouvé sur une plage corse.
Mercredi 10 avril
C'est le printemps et c'est décidé, je vais quitter ma Suède bien-aimée , ma famille et mes amis. Ils sont, disent-ils avec un culot monstre, lassés par les embrouilles que je leur fais subir. Mais moi aussi, je suis lassée qu'ils trouvent une parade à tous mes mauvais coups.
Jeudi 11
Je viens de souffler mes 41 bougies et je me suis offert le dernier concert de Jean-Jacques Goldman à Paris. Il vieillit, le mec….
Vendredi 12
Je passe à l'agence de voyage, je veux partir à Gênes. Je remonte la file des clients en apostrophant l'employée qui ne respecte pas l'heure de mon rendez-vous - que je n'avais bien sûr pas pris.
La vieillesse hurlait au scandale. J'ai dit que si elle n'était pas contente, elle pouvait aller voir ailleurs !
Samedi 13.
Je reçois un texto de l'agence. Mon départ est retardé d'un jour. C'est dingue de voir à quel point les gens sont peu respectueux ! Si j'avais le temps, je ferais leur portrait avec une pointe de manganèse, cela les arrangerait, peut-être….
Lundi 15
J'ai pris un taxi, mon chat et mon sac. Je suis tout excitée d'aller m'installer à Gênes, c'est un nom qui me plaît ! Comme on dit « Là où il y a de la gêne... », Non, c'est pas ça... Je connais déjà tout mon programme pour me faire consacrer « diva » par la Vice-Sérénissime Genova ! Je me sens déjà pousser des ailes !
Arrivée à l'aire l'embarquement, je débarque du taxi, claque la portière d'un coup de pied. Vu la note qu'on m'a tendue, le chauffeur pourra investir aussi sec dans la réparation de sa carrosserie, qui n'a rien d'un carrosse !
Ma traversée en vrac…
Ce n'est vraiment pas possible, le comportement des gens d'aujourd'hui ! Des égoïstes, des égocentriques, de la basse-cour… et que je te pousse, et que je te bouscule, et que ça caquette...quelle honte ! Elle est belle, l'Europe !
Bon, finalement, j'ai ma cabine. Mais elle ne me plaît pas du tout, elle sent mauvais. J'appelle le stewart et je veux une autre. Je crie, je trépigne, je me pâme, je menace… et voilà, une belle cabine avec balcon et vue sur mer. Il suffit de savoir demander. Je sens que le vent me porte….
Les repas, quels cauchemars… les minauderies, les mièvreries… Moi, je suis franche. Je ne reste pas des heures à hésiter entre viande rouge, blanche ou poisson, entre vin blanc, vin rouge ou rosé, dessert ou café… Je prends, j'engouffre. J'ai besoin de forces pour m'installer….
Les soirs, chacun se bouscule pour se faire voir, avec ses beaux atours ou en présence de… ou de …Mais quel cirque !
A moi, Gênes, deux mots… « Je veux ».
En direct, je prends la pose, je m'impose avec un culot très discret. Et ça paye ! Si, si….d'ailleurs, je suis invitée par le Pacha en personne. Il tient à me faire visiter son paquebot…
Je l'attends sur le pont qu'il m'a indiqué., douillettement installée dans un transat, un châle en cachemire (volé) jeté sur mes épaules.
Tiens, c'est étrange ce crissement, on dirait qu'on a heurté quelque chose...
My God, la sirène, il ne manquerait plus que je n'aie pas de place sur un canot de sauvetage…
Mais d'abord, vite… un gilet de sauvetage….je trifouille, là, voilà…..
Tiens, je ne savais pas que c'était si lourd. Ils sont fous, de faire des trucs aussi lourds, ils pourraient penser aux femmes, tout de même…
A mon avis, c'est la panique qui fausse mes impressions….
Journal local,
Journal national,
Euronews….
« On apprend le naufrage d'un paquebot à destination de Gênes… aucun survivant…. »
© Danielle M