Destination : 16 , Verlaine en filigrane
Humeurs de Loire
Il pousse des cormorans sur un arbre dépassant à peine de la Loire. A travers le ciel plombé par-dessus le fleuve point un soleil chétif. Pourtant, hier encore, il était si bleu, si calme. Mon cour a froid. Un arbre isolé, noir de cormorans, vision de désespoir que je fuis en passant mon chemin.
Un arbre par-dessus le toit d'une ancienne demeure de marinier libère ses dernières feuilles. Leur tourbillon berce mon âme et soigne sa blessure. Il suffit que je ferme les yeux pour sentir l'air chaud susurrer dans les palmes. La cloche de la communauté religieuse appelle les cornettes à la prière. Dans le ciel s'ébrouent des mouettes tandis qu'on voit glisser doucement sur l'eau une famille de canards. La cloche tinte une seconde fois. Je poursuis, apaisée, ma promenade.
De l'île me parvient un son étrange : un oiseau sur l'arbre qu'on voit en bout de cette fine langue de terre encore apparente s'exprime et chante. Il exhale sa longue plainte. Je frissonne.
Mon Dieu, mon Dieu, implorent les cornettes. La vie est là, simple et tranquille. Pourquoi les humains ne peuvent-ils s'empêcher de la rendre si difficile ?
D'où vient cette paisible rumeur-là qui met à nouveau du baume sur ma douleur ? Elle vient de la ville qui bruisse au delà de la berge, des enfants qui crient, du train qui circule sur le pont, de la vie qui grouille tout autour de moi.
Douceur, douleur, une lettre vous sépare et mon humeur de promeneuse balance entre vous deux, ne se décidant pour aucune. Et me vient en mémoire l'interrogation de Verlaine : « qu'as-tu fait, ô toi que voilà » ? T'apitoyant sur ton sort, pleurant sans cesse, tu n'as vu que les cormorans alors que les cygnes blancs cinglaient au large.
« Dis qu'as-tu fait, toi que voilà de ta jeunesse ? »
Je décidai alors que les cygnes, les mouettes et les canards chasseraient désormais de mon esprit la vision des cormorans.