Destination : 26 , Une bouteille à la mer
A toi qui a rencontré Dieu (bouteille)
Tu es celui qui croit au ciel, je suis celui qui n'y croit pas. C'est un fait établi depuis de longues années. Cependant, je suis un vieil homme aux portes de la mort, enfin encore assez loin d'elles pour espérer vaguement que les vagues t'apportent cette bouteille et son contenu et qu'un message de toi, à travers le temps et l'espace, me sauve des cuisances de l'enfer. « Le feu que je préfère » - bon, voilà que je te chante la chanson d'un autre mécréant, ce n'est pas le meilleur moyen de te persuader de m'aider. En tous cas, tu ne pourras plus rien faire pour lui, il est déjà dans l'au-delà, mais transformé en éternel béat ou en gratteur de guitare incandescent, là est toute la question.
Une chose est sûre, je voudrais bien avoir rendez-vous avec Lui - s'il existe. Le reste, j'en fais mon affaire, je n'ai pas honte de mon passage en ce bas monde.
Avec l'âge, vois-tu, le doute instille son poison dans mon raisonnement. L'athée, l'impie devient agnostique, incrédule. La certitude se nuance sans que je sache s'il s'agit d'un ramollissement de mon cerveau, j'en veux pour preuve la perte de mémoire, ou d'un pas vers la vérité. C'est là que tu interviens avec tes preuves à toi. Non, bien sûr, à supposer que tu me lises, tu ne l'entends pas ainsi.
Sache que j'appelle de tous mes voux l'existence de ton Dieu. Attention, seulement, s'il est bienfaisant. Je n'ai pas l'impression qu'ils le soient tous ou même qu'ils le soient jamais. L'inquisition, avec un grand ou un petit « i », me trotte dans la tête. J'avoue là mon forfait, je confonds Dieu et son église. Comme il est tout-puissant, je mets tout dans le même sac. Mais si tu es convaincant, j'accepterai peut-être tes arguments. Songe que tu peux encore gagner une âme, tu n'as plus de temps à perdre.
Surtout, ne joue pas les intellectuels, ne me balance pas Claudel ou Péguy en pleine figure (ou les Claudel et les Péguy de chez toi). Je te préviens, tu pourrais tout de suite escompter l'effet inverse.
Si tu l'as rencontré, Dieu, tu peux pas me dire à quoi il ressemble ? Je suis physionomiste, je vais le reconnaître. Je crois que je l'aimerais bien sous les traits d'une nana, pour la connaissance biblique, je suppose. Bon, voilà que je blasphème. Quelle tâche je t'impose là ! Va, tu pourras toujours jouer les Tartuffe et rejeter ma bouteille à l'océan. Pas vu, pas pris ! Souviens-toi des fameux arrangements.
Cependant, au nom de la charité chrétienne que tu professes, je t'en conjure, ne me laisse pas mourir idiot, encore que. Aux imbéciles. Tu vois, je doute, mais demeure encore
Celui qui n'y croit pas.
