Destination : 31 , Une saison Ailleurs


Fêtes de fin d'année en Bavière

Elle était revenue vingt ans après. En apparence, Regensburg n'avait guère changé. Deux étals de marchandes de radis blancs subsistaient sur la place de la cathédrale, le diable et sa grand-mère n'avaient pas quitté l'emplacement que les bâtisseurs leur avaient consacré sur l'édifice, le tram bloquait toujours la rue qui y accédait. Les corneilles cherchaient leur nourriture, sombres taches sur le sol blanc. Les guirlandes ornaient les vitrines et traversaient joyeusement les rues. La fine couche de neige rendait le sol lumineux et glissant et soulignait la dentelle des pignons moyenâgeux.



Au cour de la ville, elle grimpa quatre à quatre un superbe escalier de bois jusqu'au premier étage d'une maison du XVIe siècle. Myriam l'attendait sur le seuil de son grand appartement de guingois. Là, dès le premier coup d'oil, elle sut que tout avait changé. Les joues rondes avaient cédé la place à un visage émacié, de larges ombres sous les paupières inférieures et un sourire languide qui lui semblait dire : « Pourquoi es-tu venue ? Je suis lasse, lasse de lutter ! » Tout ce qu'elle aurait voulu lui faire comprendre, qu'elle était son amie, qu'elles avaient passé de si belles heures ensemble, qu'il y en aurait encore d'autres, Myriam n'avait pas envie de l'entendre. Elle n'aspirait qu'au repos maintenant et pour l'éternité.



A la périphérie de la ville, elle arriva dans une petite maison basse où vivaient Gisela et ses deux enfants, Tina et Stefan. Elle avait toujours son allure juvénile, sa coiffure à la Mireille Mathieu, un blouson en velours. Avenante sans effusions, elle l'accueillit simplement, comme si elles s'étaient vues la veille. Les enfants revinrent, la blonde Tina poussant Stefan, le garçon aux cheveux de jais, sur un fauteuil roulant qui lui servait de véhicule depuis son accident de voiture. Evidemment, Gisela avait changé. C'était invisible mais elle ne lui fit pas l'affront de croire qu'après un tel malheur, elle était immuablement la même. Ils passèrent Noël ensemble avec Ludi qui était venu les rejoindre pour l'occasion. Le sapin était vêtu d'objets en copeaux de bois et de bougies allumées. Les jeunes jouèrent de la musique, elle reçut un gros volume des nouvelles de Stefan Zweig, le raconteur de passions. Quel triste Noël au sein d'un couple séparé, parents d'un enfant paralysé !







Gisela crut lui faire plaisir en l'emmenant chez son frère qu'elle avait fréquenté autrefois. Sa femme était partie en week-end chez ses parents, avec leurs enfants. Gisela les laissa seuls, le piège se refermait. Il tourna autour d'elle comme une mouche, cherchant à rattraper le temps perdu et osant lui avouer que faire l'amour avec une Parisienne devait être une source de plaisir indicible. Elle réussit à se sortir adroitement des pattes de ce rustre. Sa soeur revint enfin. Qu'était-il devenu, l'étudiant rieur qui l'emmenait faire de longues promenades le long du Danube, qui lui contait la légende du vieux pont et lui chantait la chanson des tourbillons ?



Ludi l'avait invitée à passer le Jour de l'An, dans sa grande maison, à Straubing. Chaleureux comme à son habitude, il l'entoura d'une amicale tendresse, lui fit visiter sa ville, lui présenta sa nouvelle amie. Il avait accepté le coup du sort, recevait régulièrement ses enfants mais de nouvelles rides s'étaient ajoutées à celles du sourire qui le rendaient plus touchant encore.



A la Saint-Sylvestre, vers vingt heures, tous ses invités étaient arrivés. On chargea les voitures et les conduisit jusqu'à l'orée de la forêt. Dans une grande allée enneigée, ils avançaient à la lueur de leurs lampes-torches, tirant derrière eux des luges qui portaient des couvertures et des vivres. Dans une clairière, ils disposèrent les luges en rond. Au centre, les hommes allumèrent un feu. Les thermos circulèrent, emplies de vin chaud à la cannelle. Les saucisses grillaient et l'odeur de fumé leur chatouillait les narines.



La neige enveloppait de coton le monde alentour au point de le faire disparaître de leur vue et, avec lui, leurs soucis, les épreuves, la misère. Ils étaient seuls, hommes et femmes toujours jeunes et de bonne volonté, encore pleins d'idéal, d'espoir et d'amour à donner.



Au retour, ils avaient chaud au cour et au corps. Ils poursuivirent cette nuit du recommencement à chanter en allemand, en anglais et en français et à réinventer le monde.



Le monde cruel qui, lui, à l'extérieur, ne changeait pas !



Danile