Destination : 34 , Sous le soleil d'Ailleurs


Maria

En cette fin d'après-midi orageuse, le vieil Antonio regardait à travers les jalouses de ses persiennes, du premier étage de sa maison, la place du village ou un groupe de quatre jeunes gens s'amusaient à se poursuivre autour de la fontaine, un bassin circulaire avec, placé en son milieu un cupidon de bronze, qui déversait par la bouche un mince filet d'eau. Il ne s'aperçut pas toute suite qu'il y avait trois garçons et une fille, car ils étaient tout quatre en short, et torse nue, seul la fille avait un t-short couleur chair qui lui moulait la poitrine. Les garçons l'aspergeaient d'eau, elle riait à leur jeu, semblait même les provoquer, mais quand l'un des garçons s'approchait trop, prestement elle s'éloignait, et la poursuite recommençait.



Antonio revient s'asseoir à son bureau, une petite table en bois pourvu d'un seul tiroir en son milieux, il y sortit lentement un revolver, qu'il caressa de la main, le plaça dans sa bouche, puis dévia l'arme sur la tempe, le retira, le déposa sur son bureau en soupirant, relut la lettre, pour la dixième fois peut-être, il la connaissait par cour.



Il se revoyait jeune homme, comme ceux qui chahutaient sur la place, soixante ans plus tôt, au bord de cette même fontaine, faisant sa cour à Maria.



Elle riait de toutes se dents, acceptait timidement des petits baisés, disant que son père ne voulait pas, qu'on les regardait derrière les persiennes, que les commères allaient les dénoncer.





Elle avait 16 ans, il en avait déjà 20, il était riche, étudiait en ville, elle était pauvre et gardait les chèvres, c'est au détour d'un chemin de pierre qu'ils se rencontrèrent. Il se promenait avec sa moto, les chèvres lui barraient le chemin, elle s'écria que les pétarades de son engin faisaient peur aux bêtes. Lorsqu'il retira son casque, elle ne dit plus rien.



Maria sa Maria, 60 ans de mariage, elle lui donna quatre garçons, tous mariés aujourd'hui et des petits enfants qu'il ne comptait plus. Maria, sa Maria qu'il venait, la veille, de mettre en terre dans le cimetière de son village natal. Il ne se voyait pas vivre sans elle. Pensif, il tournait et retournait son revolver dans tous les sens. Et il y avait cette lettre.





Les chèvres sachant garder un secret plus sûrement que les commères du village, ils purent jouer dans les foins sans risquer de se faire dénoncer. Antonio promis de réparer.



Maria pleurait, son père ne voudra jamais, il répondait qu'il était riche, que son propre père ira parler au sien, elle répondait qu'il n'y avait pas que ça !





Son père « en monsieur de la ville », chapeau costume cravate dans sa Torpédo, rentra dans la cour de ferme, mit ses souliers vernis dans le fumier, le fermier le reçu dans sa cuisine. Madame en tablier noir, vaquait à ses occupations ménagères, elle restait devant le vieil évier de pierre brun, astiquait indéfiniment le même chaudron.



Le paysan sur sa chaise fit signe au visiteur de s'asseoir sur le banc à l'autre bout de la table. Il prit le temps de rouler une cigarette, avec des gestes lents et étudiés. Voyant cela, l'autre sortit une pipe de sa poche et prit également le temps de la bourrer et l'alluma avec un briquet en or qu'il tendit au fermier qui le dédaigna Il se leva, alla vers la cheminée, alluma sa cigarette avec un tison, puis lentement, il se rassoit, savoura quelques bouffés. Son visiteur posa sa pipe sur la table il allait prendre la parole que lui coupa le paysan.



_ Que me vos vôtre visite ? Demanda-t-il.



_ Nos enfants désirent se marier.



_Non !



Il fit mine de se lever, signifiant la fin de la visite. Mais le père d'Antonio resta assit sur son banc.



_ Mon fils est un enfant des plus convenable. Étudiant, il est promis à un brillant avenir.



_ Non !



_ Si c'est pour la dot, ne vous en faite pas, nous nous en passerons, votre fille sera or du besoin.



_ Ma fille n'est pas une va nue pieds !



_ Et qui gardera les chèvres ? Demanda la femme, tout en continuait à récurer son chaudron.



_ Nous ne pourrons payer un ouvrier pour la remplacer, continua le paysan, nous ne sommes point riches !



Deux ou trois bouffés de cigarettes et de pipes plus tard.



_ Si je vous trouve un garçon de ferme avec un an de salaire d'avance. ?



_ La mère, va nous chercher à boire !



La femme laissa son chaudron, qui brillait comme il ne le fut peut-être jamais, s'essuya les mains sur son tablier, descendit dans la cave, ce qui laissa le temps au bonhomme de rouler une nouvelle cigarette, et cette fois si, accepta le briquet en or. La mère remonta avec une cruche et deux verres, cela avait valeur de contrat de mariage.





Il étouffait de chaleur, les nuages noirs de l'orage annoncé recouvraient le ciel. Il déboutonna le col de sa chemise, tomba sa veste de deuil, s'épongea le front et retourna observer à travers les persiennes les jeunes gens, qui continuaient à courir. La fille s'échappait à leur convoitise parfois elle acceptait un baisé volé avant de reprendre, infatigable, sa course autour de la fontaine. Elle riait trop fort, insulte à son deuil et à sa douleur.





Soixante ans de bonheur, briser par la maladie, Maria, sa Maria venait de s'éteindre dans son lit entouré de ses enfants et petits enfant. Antonio ne se sentait pas la force de lui survivre. Et il y avait cette lettre.





Les trois garçons avaient fini par rattraper la fille et l'avaient poussé dans l'eau du bassin. Celle-ci en ressortit toute dégoulinante, le short moulant ses formes. Elle ressemblait à une déesse antique, ce qui impressionna les garçons qui s'écartèrent, la laissa partir. Mais l'un deux là poursuivie, la rattrapa et l'entraîna dans la pénombre d'une porte cochère. Le vieil Antonio dont la fenêtre donnait en face, voyait la fille, dont le jeu avait cessé de plaire, se débattre. Le garçon lui arracha le short. Un coup de tonnerre éclata si violant, qu'il fit interrompre le garçon. Il lâcha sa proie et s'écroula, un trou rouge sur le front. La fille ne comprit pas, elle s'enfuit, se perdit dans les rues adjacentes. Derrière ses persiennes, Antonio, appuya une deuxième fois sur la gâchette l'arme sur la tempe. Dans l'autre main il tenait cette lettre qu'il venait de découvrir dans le missel de la défunte. Elle lui révélait que son quatrième fils, son préféré, celui qui ressemblait le plus à Maria, sa Maria. N'était pas de lui.

J Franois M