Destination : 159 , Polyphonies
Premier Rendez-Vous...
"Premier Rendez-Vous"
Anna : 2 Septembre 1939
La France déclare la guerre à l'Allemagne.
Anna a eu 18 ans hier.
Elle est jolie, insouciante et joyeuse.
Elle porte une jupe courte "à la mode", qu'elle a cousu elle-même, un chemisier avec des manches "ballon", une taille serrée et ceinturée, des chaussures à semelles compensées et un petit chapeau bricolé avec des morceaux de tissu.
Anna a des soupirants, qui ne font que soupirer, car Anna reste sage.
Et puis elle est amoureuse; amoureuse de Louis Jourdan et de Robert Taylor et ne se lasse pas d'aller voir et revoir "le Premier rendez-vous" et "la Valse dans l'ombre".
L'Amoureux, le vrai, celui avec lequel elle aura plus tard un enfant, elle saura l'attendre. Rien ne presse.
Pendant les 5 années d'Occupation, elle va poursuivre sa vie comme si de rien n'était ou presque, si ce ne sont les descentes à la cave les nuits d'alertes, l'exode, le rationnement et la disparition brutale et inexpliquée de certains de ses amis.
Pierre : 12 Avril 1942
Le premier convoi arrive en gare de Lemberg.
Il déverse 2000 hommes. Pierre fait partie de ceux-la.
Tout ce qu'il sait c'est qu'il a fait le choix de ne pas s'agenouiller, de ne pas se soumettre et de regarder l'ennemi en face.
Il a 27 ans.
Pendant des mois, ses camarades et lui vont connaitre ici l'enfer.
Ici, dans ce camp dont on dira plus tard que c'était celui "de la goutte d'eau et de la mort lente".
Jeanne
Jeanne est veuve; elle a déjà perdu deux enfants; ses filles Alice et Louise mariées, survivent à Paris avec leurs très jeunes enfants. Leurs maris ont été faits prisonniers.
Pierre son fils, est parti en 1939. Prisonnier de guerre lui aussi, on perdra souvent sa trace du fait de ses évasions.
Toute sa vie, Jeanne sera vêtue de noir.
Toute sa vie, elle luttera sans se plaindre,un pale sourire au coin de ses lèvres tremblantes.
Pendant cette guerre, elle tiendra tant bien que mal et seule, sa petite épicerie en banlieue, à moitié pleine ou à moitié vide, selon l'humeur du temps.
En cette époque tourmentée, elle n'imagine pas encore que bien des années plus tard, une de ses petites filles viendra mélanger en toute innocence, lentilles, fèves et
haricots stockés dans les sacs de jute de sa boutique, et qu'en guise de punition, elle remplira les poches de sa robe à smocks de coquelicots et de guimauve.
Anna
Au retour de l'exode, Anna travaille.
Pas pour son pays : elle n'a pas eu le choix.
Mais jamais elle ne franchira le Rhin.
Elle fréquente les cinémas de son quartier, écrit un journal, et collectionne les photos de Tino Rossi, dont elle connait toutes les chansons par cœur.
Elle a 20 ans.
Pierre
L'hiver 1943 est particulièrement glacial, mais il résiste.
De temps en temps et comme par miracle, une lettre ou un colis arrivent jusqu'à lui, de sa mère ou de ses sœurs.
Peu importe la noirceur du quotidien, c'est toujours un instant de bonheur.
Lui aussi écrit; mais la censure l'oblige à dire à sa mère que "tout va bien", "qu'il mange à sa faim" et "qu'il est bien traité".
De toutes façons, Jeanne ne supporterait pas la vérité.
Sur fond d'outrages et de bestialité, la vie de Pierre continue.
Anna
En 1944 à la piscine Molitor, Anna fait la connaissance de Jacqueline.
Comme elle, elle porte un maillot de bain une pièce et comme à Anna, il lui donne une ligne sublime.
On les regarde, elles rougissent, et cela suffit à un peu de bonheur.
L'année suivante, Jacqueline lui présentera Louise, la fille de Jeanne.
Anna sera souvent reçue à Boulogne où tout de suite, on aimera sa générosité et sa bonne humeur en toutes circonstances.
Et puis, en Juin 1945, elle fera la connaissance du fils de Jeanne, Pierre, de retour en France.
Usé, amaigri et le regard à jamais ailleurs, il lui proposera, sans espoir, un premier rendez-vous.
Un premier rendez-vous, qu'elle acceptera.
Et, il l'aimera sur l'instant.
Anna et Pierre
Ils se diront "oui" le 17 Novembre 1945.
En présence de Jeanne, d'Alice et de Louise.
Martine V.