Destination : 178 , Découverte


une rencontre miraculeuse

Une rencontre miraculeuse





Ils la trouvèrent par un beau jour de mai. Ou plutôt c’est lui qui la trouva le premier. Cela faisait si longtemps qu’ils en rêvaient ! Ils l’imaginaient le soir, si belle, inaccessible ! Et puis voilà qu’un héritage leur était arrivé. Le rêve deviendrait-il réalité ? Par un beau jour de mai, donc. Il était en vacances, elle non. Elle lui donna mission : va là-bas, chez nous. Dans le haut pays. Regarde pour moi. Quand tu l’auras trouvée, je te rejoindrai.



Il ne chercha pas longtemps, une matinée, tout au plus. Le temps d’en voir quelques-unes, banales, sans intérêt. Il hésita bien un peu quand il rendit visite à une vieille dame, veuve depuis peu, qui dévoila pour lui –« Parfois mon mari m’emmenait au cinéma », lui dit-elle, avec une sorte de ravissement- au sous-sol, une salle aménagée pour une projection intime : un écran entouré de rideaux, quelques fauteuils profonds et, derrière, la lanterne du projecteur. Il hésita, faillit dire oui. Pour la vieille dame et son mari. Pour ce passé si proche de tendresse qui s’attardait dans la pièce aux mystères.



Mais il n’avait pas tout vu. Il en restait une, dans son circuit. La dernière, en haut de la colline, à Chadourène. –« Un peu loin de la ville », lui ferait-elle remarquer. Qu’importe !

Il fallait suivre une petite route escarpée qui s’enfonçait dans la forêt, longeait quelques maisons, une prairie où rêvaient des chevaux. A droite, un sentier de terre dure et de cailloux grimpait entre deux haies de lavandes. Deux beaux chênes verts majestueux signaient l’entrée du domaine mystérieux. Un talus d’iris et de pourpiers couronné par un escalier menait à un portique ombragé. La terrasse. Il y était.

Quand il se retourna, les politesses d’usage échangées avec le propriétaire, un divorcé, qui devait vendre, forcément, et s’en séparait avec regret –il y avait été si heureux !- il reçut comme un choc : face à lui, séparé seulement par un balcon de romarins, l’immense espace de la vallée, surplombée, au loin, par les deux pointes en bicorne du vieux Cousson, que prolongeait la blanche falaise de la barre des Dourbes, coupée, sur la gauche, par le croc du pic du Couar et, enfin, laiteuse, la croupe du Cheval Blanc, ouvrant l’horizon sur une promesse d’élévation : la maison tutoyait les montagnes. Tout était dit.

Le reste ne fut que formalité : lui demander de le rejoindre pour signer le compromis, la banque, le notaire… Cela ne fit pas un pli.



En attendant d’en prendre possession, ils s’étaient fait faire une petite plaque d’émail gravée d’un « carpe diem » et de quelques brins de lavande. C’était comme un bout de la maison : elle avait son nom désormais, il ne restait plus qu’à le fixer sur la boîte à lettres. Plus tard ils rajouteraient un cadran solaire de belle pierre blonde, gravé de même, à l’arête d’un mur, pointant le sud.



Ils s’en souviendraient longtemps, de leur première nuit à la maison ! Les meubles posés à la va-vite, les cartons non déballés encombrant la remise, ils avaient à la hâte dressé le lit et s’étaient allongés, cœur battant, ivres d’émotion, la fenêtre grande ouverte sur le ciel étoilé. Ils dormirent peu cette nuit-là, étourdis par la bruissante vie nocturne, si dense, si intense !

Il leur faudrait du temps pour identifier les multiples sons nocturnes : le volètement fou des minuscules chauves-souris zigzaguant dans l’air tels des chiffons mous, les glissements furtifs de lézards attardés dans la gouttière, quelque papillon de nuit se cognant contre la lanterne de l’entrée, le froissement d’ailes de deux tourterelles se mussant dans les branches du grand chêne, un trottis de mulot, dans le grenier, les cricris des grillons criblant la nuit, tels des étoiles sonores.

Certains reçurent même un nom : Charlotte la hulotte, qui venait tous les soirs à la même heure, à la tombée de la nuit, mélancolique fantôme de ouate et de lune, moduler une plainte infinie ; Chantal la cigale, qui célébrait par sa stridence triomphante l’apogée de l’été. ;;



Avec le temps ils apprendraient à la connaître, à apprivoiser ses humeurs de vieille dame fantasque, deviendraient experts en bricolages de toutes sortes.

Eté comme hiver elle serait au cœur de leur vie, comme le feu dans l’âtre. Comme une femme, comme un péché mignon, ils lui offriraient mille embellissements : une tonnelle ombragée de vignes-vierges, un banc de pierre au pied d’une vieille statue, quelques jarres bien rondes, couvertes de géraniums, une rocaille, une fontaine, dont le gazouillis rafraîchirait les soirs d’été, quelques nichoirs pour le petit peuple des oiseaux… Pouvaient-ils faire moins pour la maison de leur vie ?



Oui, cette rencontre-là tenait du miracle. Et le miracle dure toujours.

josee