Destination : 178 , Découverte


Incompréhension

Je tourne la clé dans la serrure et ouvre la porte. Un rapide coup d’œil me permet de confirmer ce que je sais déjà : elle n'est plus là. Pourtant prévenu, je n'ai pu m'empêcher d'espérer.



« Tu ne me comprends pas. Tu ne fais aucun effort pour t'intéresser à ce qui est important pour moi. Jamais ! »



Les reproches trop souvent formulés prennent une résonance particulière, assénés comme une fin de non recevoir. Je paie aujourd'hui le prix de mon indifférence. Me voilà seul. Vidé de son bric à brac hétéroclite, l'appartement me paraît bien nu.

Me laissant lourdement tomber sur le canapé, je sens quelque chose me rentrer dans le dos. Coincé entre deux coussins, un dossier rigide rouge semble me narguer. Curieux, je l'ouvre. Des feuilles manuscrites et imprimées s'étalent sur mes genoux dont une portant le titre de « La folie RAUSCHENBERG ».

La première surprise passée, je me remémore les recherches effectuées laborieusement par ma toute récente ex-compagne et ses derniers reproches.



« Tu ne t'intéresse pas à ce qui est important pour moi. Jamais ! »



C'est vrai. N'étant pas féru d'arts, je me laisse plus aller à regarder la télévision qu'à l'écouter me relater les divers résultats de ses investigations. Saisi d'une brusque frénésie, j'étale les documents sur la table basse. Au vue de ce qui se présente, mon esprit recherche les consignes tant de fois entendues. Comment dit-elle déjà ? Ah oui, « laisser mûrir son impression ».

Voyons ! Il y a ce tableau avec JF Kennedy et même plusieurs autres du même type, sorte de collages d'images barbouillées de plusieurs couleurs, assez généreusement pour certaines. Je n'y comprends rien. C'est donc ça, le « pop art » !

Sans me décourager, je continue mes découvertes. Un sous-dossier porte le nom de « Combines ». Je l'ouvre. Un sentiment d'impuissance me terrasse à la vue de l’œuvre intitulée « Monogram » : constituée d'une toile posée à l'horizontale et recouverte de débris divers, elle détient en son centre une chèvre angora empaillée entourée d'un pneu de voiture. Figé, je ne peux en détacher mes yeux. Satyre bucolique ? Je perds pied et constate avec effroi l'abîme qu'il me faut franchir. Moi qui pensait que quelques lectures par ci par là suffiraient à me mettre à niveau, je prends conscience du travail à fournir.



Mon portable me sort de mes sombres pensées. C'est elle ! Je décroche précipitamment, mais ne trouve rien de plus intelligent à formuler qu'un « c'est toi » extatique. De sa voix agacée, elle me fait part de son désir de récupérer au plus vite le fameux dossier actuellement étalé sous mes yeux. Peut-elle même passer tout de suite ? Je n'ai pas le temps de m'en remettre que déjà l'interphone sonne : déclic, cliquetis, bruit de talons dans le couloir. Elle est là. Une gêne subite nous rend muet. Son regard se porte sur la table basse où sont encore éparpillés tous les documents de son dossier. Pris en faute, je cherche à me justifier.



« Je voulais comprendre »....



Elle s'approche et prend la photo de l’œuvre qui m'a tant choqué.



« Et tu y es arrivé ? »



Que dire ? Mentir ? Je choisis la franchise.



« Non... Rien du tout. Je suis vraiment désolé ».



Je me tiens là, devant elle, malheureux comme jamais d'être aussi obtus. Et alors que je m'attends à une répartie assassine, je vois ses épaules secouées d'un fou rire. Entre deux larmes, elle me demande même si j'ai tout lu. Encore plus dépité, j'acquiesce. Son hilarité prenant fin, elle me considère enfin et alors que je n'ai plus d'espoir, me fait la plus belle des propositions.



« Je pourrais t'apprendre si tu le veux vraiment ».





http://www.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-rauschenberg/ENS-rauschenberg.htm



LYDIE F