Destination : 185 , Silhouette
Le confident
Même en fouillant au plus profond de sa mémoire, elle ne parvient pas à se souvenir d’avoir vécu sans lui.
Il habite à quelques centaines de mètres de chez elle. Mais par tous les temps elle aime à lui rendre visite. Sur le chemin qui la mène jusqu’à lui, elle sent toujours son cœur s’emplir d’une indéfinissable chaleur.
Elle l’aime pour sa stature, pour l’impression de solidité qui émane de lui, pour son port majestueux ; elle le trouve si beau... Elle lui reconnait bien des qualités ; entre autres, son immense capacité d’écoute et sa propension à l’empathie.
Combien de fois a-t-il entendu arriver, au loin, la course folle de ses petites jambes d’enfant, puis plus tard, sa démarche dégingandée d’adolescente, suivie quelques années après de son pas assuré de jeune femme ?
Depuis combien de temps, l’a-t-elle choisi pour confident ? Elle ne sait plus… Lui en est touché et prend son rôle très à cœur. Il sait toujours la réconforter. Sans mot dire, il trouve le moyen de la calmer, de lui redonner l’énergie de se battre, la confiance pour avancer même lorsque sa vie se nappe de brouillard.
C’est à lui qu’elle a confié ses premières peines, la copine Julie qui l’avait trahie, le cousin Théo qui l’ignorait ostensiblement. Plus tard c’est encore lui qui la consolait de ses chagrins d’amour, de la peine que lui causait le départ de sa grande sœur partant étudier à l’autre bout de la France.
C’est dans ses bras qu’elle a versé toutes les larmes de son corps en apprenant le décès de son père. Et c’est tout contre lui encore qu’elle déposait l’incommensurable peur qu’engendrait l’annonce de sa maladie à elle.
Mais il a été le premier aussi à avoir fait connaissance de son grand amour, puis, un peu plus tard, à savoir qu’elle était enceinte. Les trois fois, il a eu la primeur !
Chaque année, dès qu’arrive l’automne, il lui offre généreusement pléthore de fruits bien charnus qu’elle se hâte de cuire en compote, ou qu’elle transforme en délicieuses confitures, sans oublier d’en garder une poignée pour mettre à griller au feu de la cheminée.
Certains disent que ces cadeaux sont piégés, que c’est trop long à éplucher, trop piquant à ramasser…
Pour elle, ces offrandes sont inestimables. Elle le remercie en silence, et lui rend visite dès qu’elle le peut, un peu comme on se rend chez un grand-père, autant pour prendre soin de lui que pour se faire cajoler, un grand-père qui a vécu des époques extraordinaires, un témoin de vie, un grand sage.