Destination : 196 , Ai11eurs : une autre réalité


dest. 196 : Ai11eurs: une autre réalité - Miroir de mozaïque



Toute petite, Elle avait déjà dû se battre pour être acceptée et puis prendre sa place. Au cours de sa scolarité, ce fut pareil : être persévérante, méfiante et se battre.



Ce n'est pas simple quand on est issue d'un milieu dit « défavorisé ». Et pourtant, elle n'avait jamais souffert de la faim ou du froid. Non, c'était plutôt de carence affective qu'elle avait souffert.



Dès qu'elle eut atteint l'âge de raison, elle se dit que plus tard, les choses se passeraient autrement, comme dans les livres . Elle se battrait pour réussir dans la vie. Réussir sa vie, ce serait plus tard.



Elle passa son adolescence en internat, à la dure. De nuit en nuit, elle se construisait une autre vie.

Un soir, elle entendit les aînées parler de l'estime de soi . Elle prêta une oreille attentive.

- Quand on est enfant, on se nourrit affectivement du regard de sa mère et … des proches...

Cette phrase s'imprima au fer rouge dans sa mémoire et elle se mit à détester cette mère qui n'avait de cesse de lui dire qu'elle était grosse et que ses cheveux étaient vraiment laids.

Elle commença à faire prendre soin d'elle.

Fin du premier épisode.



Elle fit du baby-sitting, ce qui lui permit d'une part, de remplir sa tirelire et, d'autre part, de lire. Beaucoup … Tout ce qui lui tombait sous la main.

Elle aimait également « visiter » les salles-de-bain. Ouvrir les armoires, observer ...Jamais elle n'osa essayer quoique ce soit. Ce serait pour plus tard, quand elle s'offrirait elle-même les « marques ».



Elle commençait à prendre plaisir à s'observer dans les miroirs, petits et grands. Les triptyques la faisait rire et rêver. Elle apprit également à se regarder dans tout ce qui reflétait son image, partielle ou entière : les fenêtres, les baies, les vitrines de magasin, les cadres, les rétroviseurs des voitures et des motos.

Cette constante attention lui permit d'avoir un maintien impeccable.

Fin du deuxième épisode.



Elle réussit brillamment ses études et fut engagée sans tarder dans une Agence réputée. Elle était efficace et bientôt, elle fut irremplaçable. Elle était devenue VIP . Elle réussissait dans la vie avec des majuscules partout !

Elle ne manquait aucune occasion de s'admirer. Elle aurait pu s'appeler Narcisse si elle eut été un homme. Hélas, Jonquille faisait un peu trop modeste.Le peu de temps que sa vie professionnelle lui laissait, elle le consacrait à sa personne : sport et soins en Instituts.

Plus les compliments étaient nombreux, plus grandes étaient ses craintes et plus nombreux étaient les regards soutenus vers son reflet.



Un matin, debout devant son miroir, elle crut apercevoir la naissance d'une patte d 'oie. Elle s'approcha du miroir et toucha légèrement sa peau. Fit-elle un geste trop rapide  ou trop lent? Elle ne le sut jamais, mais il lui sembla que sa main n'avait pas bougé, alors qu'un index étirait légèrement sa peau sur le miroir.

Elle n'y prit garde et pensa qu'elle était stressée.



Une semaine plus tard, dans l'ascenseur, elle observa sa silhouette impeccable dans son nouveau tailleur. Elle voulut pivoter légèrement, mais son corps refusait tout mouvement. En revanche, le mouvement qu'elle tentait de faire se réalisa sur le miroir. Elle en fut agacée.



Devant se rendre à une inauguration, elle se mit en quête d'un fourreau couleur lie-de-vin et d'une paire de sandales à talons. Contrairement à l'achat de sa robe, la recherche des chaussures lui causa quelque effroi.

Elle essaya une première paire, elle avait mal au pied gauche. Elle essaya une deuxième paire. Elle ressentit un déséquilibre. Tout en faisant face au miroir, elle vit dans celui-ci, ses talons à la place des pointes. Il y avait effectivement une légère différence de hauteur. Elle appela la vendeuse et lui lança en tendant un doigt accusateur vers le miroir :

- Re- re- regardez, c'est inacceptable une telle différence de hauteur.

La vendeuse regarda et lui dit qu'elle ne voyait rien. Elle dut passer derrière elle pour constater le défaut.

Elle trouva enfin chaussure à son pied. L'incident était clos.



Les semaines qui suivirent la perturbèrent maintes fois.

Ainsi, voulant remettre une mèche de cheveux, sa main restait inerte alors que sur le miroir, sa main replaçait la mèche. Vérifiant pour la dernière fois sa tenue, elle fut brutalement paralysée alors que, dans le miroir, elle voyait des mains très adroites apporter de judicieuses retouches

Son inquiétude s'accentua de façon tragique et elle se mit à douter de ses facultés.



Une semaine plus tard, une photo en noir et blanc se substitua à son reflet dans le miroir. Elle voulut bouger, mais ne le put. Elle profita de cet instant pour s'observer, à l'affût des moindres traces du temps qui passe….

C'est alors que l'inimaginable se produisit. Des mains s'agitaient, dansant une folle sarabande sur son reflet dans le miroir en pied. Remodelant son visage imperceptiblement. Étirant quelque peu sa silhouette, gommant un léger épaississement de sa taille…

Elle n'allait pas s'en plaindre. Mais c'était sur un autre plan que la panique s'emparait d'elle.Sombrait-elle dans une quelconque paranoïa ?



Afin de se rassurer, elle eut l'idée d'inviter une des ses meilleures amies à faire du shopping.

Diaboliquement, les effets pervers du miroir s'en donnaient à cœur joie. Lorsque, anxieuse, elle demandait, à son amie :

- N'as-tu rien remarqué ?

C'était toujours une réponse négative suivie d'un « Pourquoi ? Il y a quelque chose à voir ? »



Le temps passa et les phénomènes se calmèrent. Elle fut rassurée et mit tout cela sur le compte de la fatigue  et du stress.



Ce qui arriva en cette fin de journée de printemps, elle s'en souviendrait le restant de ses jours.



Après une journée assez rude, elle rentra chez elle. La lumière était belle et douce. Elle se dévêtit devant sa psyché, et posa telle la Vénus de Botticelli. Elle eut à peine le temps prendre conscience de son image que son reflet la happa. Elle se réveilla dans un univers indescriptible : les bruits étaient feutrés et déformés, elle ressentait une moiteur agréable et un parfum très doux l'entourait.



Elle ouvrit les yeux, elle écouta, elle sentit et toucha. Elle reçut, comme un uppercut , les réponses à tous ses pourquoi, à tous ses comment qui s'étaient inscrits avec une intensité croissante depuis sa plus petite enfance. Le temps et l'espace étaient sans dimension. Ce fut bruit de vitre brisée qui la surprit.



Elle se réveilla assise au milieu d'une mosaïque de miroirs.

Elle avait une certitude : celle du chemin à prendre et à parcourir pour réussir sa vie.



© Danielle



Danielle M