Destination : 305 , Personnage ex nihilo


LA PENDULE

Je me souviens de la pendule, accrochée comme un christ, sur un croisillon de mur, au fond de la classe.

Elle égrenait les heures avec une lenteur méchante, se moquant bien de mes impatiences.

L’heure du calcul, les tables de multiplication ânonnées. La terrible demi-heure de la dictée. La bienfaisante demi-heure de récitation de poésie. L’heure du dessin et de la peinture, durant laquelle, enfin, l’imagination courrait librement.



- Au lieu de jeter des coups d’œil furtifs de mon côté, tu ferais mieux de te dépêcher à recopier, dans ton cahier, le devoir que le maître a écrit soigneusement sur le tableau. Tous les autres élèves ont terminé. Ils écoutent l’explication d’une règle de grammaire, les bras croisés.

Tu vas encore dire que tu ne comprends rien.



Elle avait bien raison de me sermonner, la pendule. J’étais un élève lent et rêveur. Était-ce parce que j’étais bête ? Je voulais bien dessiner les lettres.

Mon dieu qu’il est bête ! Ce n’est pourtant pas difficile à comprendre !

Intelligent, pas intelligent … Comment savoir ? tant de différentes formes d’intelligence, il parait.



La terrible demi-heure de la dictée.

Le maître passait lentement entre les rangs en articulant exagérément. Il se fâchait. Nos fautes d’inattention l’exaspéraient. Fautes d’orthographe entourées rageusement de rouge. « À copier cent fois » Hélas j’en ai copié des mots cent fois et à présent, à l’âge adulte, je fais toujours les mêmes fautes …



- As-tu été malheureux avec moi Henri ? Je suis un vieux monsieur à présent. Je crois même que je suis mort. J’ai été trop sévère n’est-ce-pas ? Je voulais tellement que vous appreniez. J’étais si fier de vos progrès. Vous, les enfants de pauvres, vous deviez absolument savoir lire, écrire et compter.

Pauvre Monsieur … Maillette, je crois. Oui c’est son nom. Il me terrifiait.

Dehors, le soleil inondait la cour d’école. Assis, dans le sombre de la classe, je ne pensais qu’à cela la récréation !



- Je n’aime pas le temps de la récréation. Ah ! si je pouvais accélérer la marche de mes aiguilles. Je ne sers plus à rien. On m’oublie. Je voudrais me boucher les oreilles que je n’ai pas. Tellement de cris de liberté expulsés à plein poumons. Heureusement, il est vite passé le temps de la récréation ! Ils rentrent, la tête basse, en traînant les pieds.

« Silence ! Assis les bras croisés. Je vous rends vos cahiers. Henri s’est encore illustré. Zéro. En retenue ! »



Elle doit se sentir bien seule, la pendule, lorsque l’heure de la sortie a sonné.

Il y aura ce long tête-à-tête avec les pupitres de bois sombres qui sentent la cire et l’encre, l’armoire de pin blanc, rigide demoiselle, qui veille sur les livres, l’estrade grinçante, le tableau noir sur lequel le maître a déjà inscrit avec la craie blanche, qui toujours gémit, la date de demain et une citation dont il faudra se souvenir.



Une femme de service passera sur le sol luisant une serpillère gonflée d’eau de Javel.



Les dessins punaisés sur le mur voudront s’envoler vers la vaste cour que protège un chêne centenaire.





EVELYNE W