Destination : 41 , Trouvailles inattendues
Au fin-fond de Bercecolombes / 1ère partie
Au fin-fond de Bercecolombes / 1ère partie
- Alors, elle vous plaît ? Le propriétaire est d'accord avec le prix que
vous voulez mettre ! C'est vrai qu'elle a besoin d'être un peu rafraîchie...
me dit le type de l'agence immobilière.
- Rafraîchie ? Vous en avez de bonnes vous ! On n'a pas du lui donner un
coup de peinture depuis au moins 30 ans à cette baraque !
- Pour ce prix-là, il ne fallait pas vous attendre à une coquette villa,
c'est une vieille maison mais elle a un minimum de confort. Elle a appartenu
à la même famille pendant plus de 40 ans, puis elle est restée inhabitée
très longtemps, avant d'être mise en vente ! Maintenant, j'ai autre chose à
vous montrer. Si vous voulez...
- Non, c'est quand même celle-là que je veux ! L'endroit est calme, isolé,
verdoyant... tout comme j'aime ! Et puis je ne suis pas trop mauvaise en
bricolage ! Bon, ben... je vais retrousser mes manches, voilà tout !
- Vous comptez l'habiter tout de suite ? Vous ne voulez pas qu'on vous
débarrasse du bric-à-brac d'abord ?
- L'habiter tout de suite ? Non ! Quant au bric-à-brac... je ferai le tri !
Il y a parfois des trésors dans les vieilles choses et j'adore fouiller !
Vous pouvez me laisser les clés ?
- Je peux vous en laisser un jeu... le deuxième, je vous le remettrai
demain, quand vous viendrez signer, ça vous va ? Vous voulez encore en faire
le tour ? Excusez-moi, ce n'est pas très commercial ce que je vais vous dire
mais... vous n'avez pas peur de venir dans un endroit pareil ? Vous n'avez
pas un voisin à moins de 5 kms !
- Rassurez-vous, je ne suis pas froussarde ! J'en connais qui dans mon dos
me surnomme Capitaine Haddock, c'est vous dire ! Et puis personne autour, ça
m'évitera le tir au canon !
- Le tir au canon ? me demande, interloqué, l'agent immobilier.
- Oui, j'ai toujours dit que je trouverai une maison avec 2kms de terrain
autour, et pour ne pas être embêtée par les importuns, je mettrai à chaque
coin du terrain un canon et je tirerai sans sommation sur le premier qui
vient me casser les pieds ! Je ne discute plus, je tire !
- Ce n'est pas Capitaine Haddock que je vous aurais appelée, moi, c'est Ma
Dalton ! Bon... bon, c'est pas tout, j'ai encore des rendez-vous, je vous
laisse ! En priorité, faites installer le téléphone, parce que si je dois
vous rencontrer, je préfère que vous soyez prévenue d'abord !
- Vous ne m'avez pas cru tout de même ! Je n'ai pas très bon caractère, mais
de là à jouer les Rambo ! Je raconte cela juste pour faire peur, d'ailleurs
je ne saurai même pas où me procurer les canons, vous êtes rassuré ?
Mi-amusé, mi inquiet, l'agent immobilier me tend une main molle et file sans
se retourner vers sa voiture, garée juste devant la mienne.
Après son départ, j'examine de plus près mon futur petit nid. Pour
l'instant, il ressemble plus à un taudis, mais avec un peu d'imagination et
beaucoup de matériel, il deviendra vite "la maison du bonheur" !
Seule et tranquille, je prends le temps de revenir dans chaque
pièce,...oh,... ce n'est pas très grand, mais c'est suffisant pour une
vieille fille !
Je me souviens que l'Agent immobilier m'a parlé d'une cave et d'un grenier.
Pour la cave, l'ouverture se situe dans le jardin, je vais donc commencer
par le grenier. Ne pas oublier ma lampe torche...
- Houlà.. il a besoin d'être retapé cet escalier, un peu branlante la
rampe... on s'y romprait facilement le cou !
- Tiens, la porte est dégondée, il faudra la remettre en place, .... beurk..
ça pue le moisi ici... ah ben du bric-à-brac, il y en a en effet,...
flûte... c'est bourré de toiles d'araignées... en tout cas, il y a de beaux
objets à première vue... je sens que ça va me plaire... à ma prochaine
venue, je descendrai tout cela dehors !
Déjà, ce qu'il y avait dans cette caisse est bon à jeter, les souris ont
fait un sort à ce qu'elle contenait... voyons voir ce coffre...là, il me
faudra forcer la serrure... et cette malle... chouette ! Elle est ouverte !
Allons ma jolie, quels sont donc tes trésors... bof, il n'y a pas grand
chose ! Eh, mais il ne date pas d'hier ce cliché, ... Photographie Henry -
Bercecolombe - 16 Mai1943 -
- Ah elle avait de l'allure la baraque ! Le jardin est splendide,... il est
mignon ce mouflet aux boucles brunes, au premier plan... il n'a pas plus de
3 ou 4 ans, derrière lui il y a une fenêtre... elle n'existe plus cette
fenêtre aujourd'hui ! C'est dommage, mon futur salon aurait été plus
clair...qu'est-ce que c'est près du gamin ? On dirait... on dirait un
animal... un vrai ou une peluche ? La femme debout en arrière- plan, ce doit
être la mère du bambin, je dirais pas plus de 25 ans ! Elle a l'air triste
en regardant son gosse ! Pourquoi je me sens mal devant cette photo ? Brrr..
j'en ai la chair de poule !
Mais que fait une photo oubliée dans une malle ? Et cette barboteuse en
organdi bleu... un canard maintenant, un canard en bois peint, lui aussi il
aurait besoin d'un nouveau look, pourquoi si peu de contenu dans un si grand
contenant ?
On dirait que la maison a gardé un secret et qu'elle veut me le dire... eh
bien pour l'instant, je préfèrerais être loin quand la nuit va tomber ! Tu
me diras ça, à la lumière du jour ma belle ! Allez, je referme la malle, je
redescend sans me préoccuper de la stabilité de la rampe et je prends le
temps de bien refermer la porte derrière moi !
Ce n'est peut-être pas sans raison qu'elle est restée inhabitée si
longtemps cette maison, il doit bien savoir quelque chose à son sujet,
l'agent immobilier ! Affronter une armée de "brise-nouilles", d'accord,
mais... déranger des fantômes dans leur sommeil, là.... et tant pis s'il
rigole le baratineur de l'Agence !
....Pourtant, je l'aime bien Bercecolombes ! Elle me rappelle un vieux poème,
"J'ai regardé mourir la nuit..." :
"Son âme, encore présente,
Flottait dans le ciel clair,
Parsemant de larmes brillantes
Les prés et les champs verts..."
Avec le temps et l'oubli, l'endroit est redevenu sauvage. Vue de
l'extérieur, la maison dont la façade a subi l'outrage des ans et des
intempéries, dégage une touchante mélancolie qui m'attire et m'effraie à la
fois ! Oui, étrangement, elle m'inquiète, pourtant... je l'aime et je la
veux !
Je ne sais pas si c'est à ma découverte dans le grenier que je dois de
frissonner à nouveau... mais plus sans doute parce que je réalise qu'aucun
oiseau ne se fait entendre, alors que la maison est cernée par de grands
arbres, des ormeaux pour la plupart. On dirait que la vie s'est en allée,
avec le dernier habitant !
Un regard encore, et je m'en vais ! La nuit s'approche lentement, des
écharppes de brumes se forment, sans doute nées du ruisseau en contrebas du
chemin menant à la grand'route qui bientôt apparaît. Déjà, je regrette le
monde de silence que je viens de quitter.Demain, je saurai quel évènement a
fait de ce coin enchanteur, une antichambre de l'angoisse. Celui qui a
choisi de construire sa maison en ce lieu, ne pouvait qu'être un poète, un
rêveur, un amoureux de la vie, un amoureux tout court... Alors pourquoi ?
