Destination : 41 , Trouvailles inattendues


Lola Lolo

Ce matin-là, je me levai tôt pour prendre le train, c'était début septembre, déjà la rentrée, je ne partais pas en vacances, mais dans un village reculé du haut Larzac, ou venais de décéder mon frère, Régis, que j'avais perdu de vue depuis plus de vingt ans.

C'est une femme qui me téléphona la veille, une voisine, qui me prévint qu'on venait de l'enterrer ce jour même. Ne sachant pas s'il avait une famille personne ne put me prévenir. Ce fut en fouillant dans ses papiers qu'elle apprit mon existence. Elle s'excusait au téléphone de cette curiosité, et fini par me dire de toute façon il fallait bien que quelqu'un rentre dans la ferme pour nourrir les cinquante chats et la chèvre, survivante d'un ancien troupeau nettement plus abondant quand « votre pauvre frère allait vendre son fromage au marcher ».

Je la remerciais tout au contraire de m'avoir prévenu, et de s'occuper des affaires de mon frère.



Tout en me préparant j'écoutais d'une oreille distraite les nouvelles à la radio. On recherchait la chanteuse Lola Lolo disparue depuis déjà un mois. Les médias étaient dans tous leurs états. La grande question « Se rendra-t-elle au rendez-vous de son publique ce soir à sa première à L'Olympia ? » Tous les autres événements passaient au second plan, même le tremblement de terre qui venait de faire plus de dix mille morts en Kukestant, ou les dernières défaites du PSG ou de l'OM.



À la gare j'achetai le journal qui parlait que de cette mystérieuse disparition. Pendant le voyage mes pensées vagabondaient ailleurs, vers ce frère parti depuis l'adolescence. C'était après mais 68 et le retour à la terre, à la mode chez certains étudiants. Régis avait arrêté ses études de médecine pour partir avec une communauté de hippie élever les chèvres au Larzac. Les parents, mon père surtout, l'avaient très mal pris, et l'avaient renié ne voulant plus en entendre parler. Régis était mon cadet de dix ans. J'attendis d'être adulte pour le retrouver. L'élevage avait fait long feu, il s'était reconverti dans les petits boulots, on disait même qu'il était devenu guérisseur, un peu sorcier. Après quelques visites « de Parisiens en vacances » je l'avais perdu de vue. Et cette femme venait de me téléphoner.

En regardant défiler le paysage dans mon train, je repensais à toutes ses années perdues.

Pour passer le temps, Je lisais aussi le journal, ou la photo de Lola Lolo s'étalait à la une. Poupée maquillée, et la poitrine en silicone. On y retraçait sa carrière, découverte il y a deux ans dans la célèbre émission de télévision « Star- confetti » Elle gagna le premier prix et depuis elle alignait les disques et les succès c'était du moins ce que prétendait l'article car je n'en avais jamais entendu parler avant sa disparition.



Après avoir marché quatre kilomètres, pas le moindre taxi dans ce pays, j'arrivai au village, qui ne présentait qu'une dizaine de maisons et trois fermes, celle de mon frère était la plus petite la grange en ruine, ne restait debout que la maison principale aussi mal entretenue que le reste. Dans la cour, seul les chats déambulaient, ignorent l'arrivée du visiteur.

Je poussai la porte, je croyais le lieu désert. Je fus surpris de voir une jeune femme habillée d'une simple blouse de ménage, en train éplucher des pommes de terre.

Je m'excusais de ne pas avoir frappé à la porte.

_ Pas d'importance, répondit une voie triste, vous êtes son frère n'est-ce pas ?

_ Oui, on m'a téléphoné.

_ C'est moi !

_ Vous êtes la voisine ?

_ Je vous ai dit ça mais ce n'est pas exact, j'étais sa dernière compagne.

_ Ah ? Enchanté ! Alors pourquoi m'avoir fait venir ? Tout ici devrait être à vous ?

_ Non, nous nous connaissons que depuis un mois. Mais vous déjeunerez bien avec moi, je me sens seul.

_ Avec plaisir !



J'observais la femme, ses traits ne m'étaient pas inconnue, blonde aux racines brunes, sans maquillage, son visage reflétait de la tristesse, elle parlait doucement comme ci il y avait un malade.

_ Où est mon frère ?

_ On l'a enterré hier.

_ Vous auriez pu m'attendre !

_

Pendant le repas, elle resta un long moment silencieuse.

_ Il y a un mois il m'a sauvé du suicide ! Dit-elle, sans préambule.

Je ne l'interrompis pas devinant qu'elle avait envie de ce confier.

_ Oui j'en avais marre de tout. J'étais en haut d'un pont pour me jeter dans un torrent, prêt à me fracasser la tête contre les rochers, marre de cette vie factice et tout le reste. Comme ils le racontent dans votre journal.

En disant ça, elle jeta un oil sur le journal que j'avais posé sur un coin de la table.

_ Oui, votre frère Régis passait par là, il m'a ceinturé à la dernière minute, il m'a amené chez lui. Nous avons beaucoup parlé, j'ai retrouvé goût à la vie grâce à lui.

_ Il est mort comment ?

_ Crise cardiaque. Qu'est-ce qu'ils disent dans le journal ? Ils ne retrouveront jamais Lola Lolo, elle est bien morte elle aussi !

_ Qu'est ce qui vous fait dire ça ?

_ Regardez la photo. Outrageusement maquiller, factice. Et moi, Laurence qui suis-je ? Simple et sans apprêt. Je vis là, en fermière. Qui a tord ou raison ? Lola Lolo star fabriquée, qui allait de concert en concert poussant la chansonnette. Chantant, « je suis belle et désirée », devant des milliers de spectateurs à ses pieds ? Mais elle se trouvait affreuse et seule, dans les chambres d'hôtel d'après concert. Elle allait d'amant en amant sans amour, des tricheurs comme elle ; Elle n'a jamais vendu autant de disque depuis sa disparition, morte, elle sera encore plus riche vivant e ! Ou Laurence dont on a gâché la vie ? On lui a fait croire au miroir aux alouettes, Laurence qui ne sait plus qui elle est ?



Elle pleurait doucement, devant le journal ouvert sur la photo de la chanteuse. En la consolant, je compris qu'elle était Lola Lolo et qu'elle n'ira pas chanter à l'Olympia ce soir.

J François M