Destination : 41 , Trouvailles inattendues


Au fin-fond de Bercecolombes/2

Bercecolombes / 2 suite et fin

A la masse clignotante et lumineuse de la ville face à moi, ainsi qu'au
flot plus fourni des véhicules qui me croisent, je m'aperçois que je suis
arrivée. Encore quelques minutes et je serai devant mon immeuble. Cette
perspective me confirme dans ma décision de signer l'acte de propriété de la
vieille maison, quels que soient les "désagréments" que j'apprendrai...

8 h. La nuit a été sereine... aucun fantôme n'est venu hanter mes rêves...
dans une heure je serai à l'Agence immobilière.
Attablée devant mon café, je ne peux éviter le souvenir de la veille, mais
le grand soleil qui pénètre dans la cuisine par la baie vitrée, transforme
ma crainte en une impatience fébrile.

9 h. Je pousse la porte de l'agence... je suis accueillie par le gracieux
sourire d'une secrétaire qui, après que je me sois présentée, m'annonce à
son patron, puis me fait entrer dans le bureau.

Lorsque je pénètre, l'Agent immobilier se lève, je remarque qu'il n'est pas
seul : deux hommes sont avec lui qui se lèvent en même temps. Le premier
frise la quarantaine svelte et élégante, le second plus âgé est un petit
homme grisonnant et replet, à la bedaine avantageuse.

- Bonjour Mademoiselle Jeannot ! Comment allez-vous ce matin ?... Merci
d'être exacte ! Permettez-moi de vous présenter votre vendeur... Monsieur
Lataupe.... ainsi que Maître Aimé, notaire !.... Prenez place... Bien....
nous pouvons commencer ! Alors, votre "tour du propriétaire" d'hier vous a
satisfaite ? Vous n'avez pas changé d'avis ?
- Non, je n'ai pas changé d'avis, j'aime beaucoup Bercecolombes...
cependant, je suis ravie de rencontrer Monsieur Lataupe avant tout
engagement... d'abord parce que faire sa connaissance est un plaisir,
ensuite... dis-je, hésitante... j'aimerais qu'il me raconte un peu
l'histoire de la maison !

Devant l'air surpris des trois hommes, je souris bêtement et je me demande
de quelle manière aborder le "mystère", en évitant le ridicule. Monsieur
Lataupe vient à mon aide, en prenant la parole :

- Très volontiers Mademoiselle ! En premier lieu, je vous dirais que j'ai
hérité de cette maison, il y a 3 ans environ. Elle appartenait à un oncle de
mon père qui l'avait plus ou moins laissée à l'abandon. Tout ce que je sais
d'elle, m'a été rapporté par mon père lui-même ! Je peux déjà vous expliquer
l'origine du nom "Bercecolombes". Celà vous intéresse ?
- Plus que vous ne sauriez le croire ! Je suis toutes ouies... dis-je.
- Eh bien voilà...
....il paraîtrait que la sérénité du lieu favorisait le rassemblement et la
procréation des tourterelles. Elles arrivaient en début de printemps et
repartaient dès les premieres fraîcheurs de l'automne.
Pendant très longtemps, elles ont été pour les habitants de la région, une
fierté et un baromètre. Puis, peu à peu, le "modernisme" et l'urbanisation
ont pris "le pas" sur la nature environnante, puis vinrent les conflits,
tout celà fit que les "colombes" comme on les appelait désertèrent
l'endroit. Mais malgré tout, il y eut toujours quelques couples fidèles,
jusqu'à la fin des années de guerre.
Bercecolombes serait la contraction de "berceau des colombes" !
- C'est très mignon, n'est-ce pas ? dit l'agent immobilier.
- En effet... mais sur la maison elle-même ? Que pouvez-vous me dire ?
- Sur la maison ? reprend M. Lataupe. Ah ! Là, si j'en crois ce que m'a dit
mon père, on entre dans le romantisme...
....lorsque mon grand-oncle a rencontré celle qui deviendrait on épouse,
c'était à Bercecolombe qu'ils se donnaient rendez-vous, séduits tous deux
par le charme et surtout la tranquilité du lieu.
Comme tous les amoureux, ils faisaient des rêves et vivre éternellement à
Bercecolombes en était un. Aussi, mit-il tout en oeuvre pour le réaliser !
Comment ? Cela, je l'ignore !
Toujours est-il que, le jour de leur mariage, il offrit à sa femme le tître
de propriété du terrain et ils firent construire la maison. On était en
1938, l'époque était déjà incertaine, mais l'espoir subsistait. C'est en
avril 1939 qu'ils purent entrer dans leur "nid"...

- Tiens ! C'est le mot qui m'est venu en la voyant ! pensai-je.
-.... mais hélas, en septembre de cette année-là, la guerre officiellement
déclarée, il rejoignit son régiment en laissant son épouse éplorée qui
portait son enfant. Il apprit la naissance de son fils en janvier 1940,
alors qu'il était sur le front de l'Est, du côté de Strasbourg.
Je passe sur les différentes péripéties dramatiques qu'il eut à subir...
jusqu'à ce jour de mai 1943 où, il pût enfin rejoindre son épouse et
connaître son fils. Il ramenait avec lui pour l'enfant, un canard qu'il
avait sculpté dans un morceau de bois. Il s'était procuré à prix d'or au
marché noir, un peu de peinture pour le rendre plus attrayant.
Pendant cette viste de courte durée, il ramarqua que sa femme avait sombré
dans une sorte de prostration qu'il attribua à la période difficile et à son
isolement. Même les espiègleries de leur fils ne semblait pas la
distraire... pourtant, il n'avait pas le choix, il devrait repartir jusqu'à
la fin des hostilités.
Entr'autres cadeaux de mariage, ils avaient reçu un appareil photo au
maniement compliqué qui n'avait pas encore servi. C'était l'occasion de
l'étrenner, à la grande joie du gamin, rayonnant dans sa barboteuse, qui
découvrait son père. Il "mitrailla" le gosse ravi de prendre des poses, mais
impossible d'obtenir que la mère se prête au jeu...
- Si ! Il y a une photo où elle est présente...

Surpris par mon interruption, M. Lataupe demande :
- Ah bon... vous savez quelque chose que j'ignore alors, parce que les
photos dont je vous parle, figure dans l'album de famille ! Pas une seule ne
la représente elle, à part le jour de son mariage !
- Hier, en visitant la maison, j'ai trouvé dans le grenier une malle.
Dedans, il y avait une photo la représentant avec le gamin devant la maison,
il y avait aussi une barboteuse bleue et un canard en bois peint... enfin
d'après ce qui reste de couleurs !
- Alors... ce serait vrai ! dit Lataupe en pâlissant soudain. C'était celà
le trésor dont il parlait...

Puis constatant l'air ahuri des trois autres, il reprend :
- Oui, que je vous explique... mon grand-oncle a quitté la maison fin des
années 70, il est entré en maison de retraite plutôt que d'y rester seul...
il n'avait plus de famille, sa femme est morte après la guerre, le gamin peu
avant... et dans des circonstances tragiques !

Lorsqu'il est rentré en juin 1945, il a retrouvé son épouse en état de
démence. Elle était devenue une véritable sauvage, refusant de le
reconnaître et surtout... seule ! L'enfant n'était plus là ! Il était
terrifié vous pensez bien, car elle était incapable de lui répondre... Elle
se contentait d'un rire hystérique... il en était épouvanté ! Que faire,
sinon chercher un médecin et demander l'intervention des autorités pour
retrouver son gosse !

Pour cela, il devait la laisser encore une heure ou deux... il partit donc,
terriblement inquiet ! A son retour, il était accompagné de deux gendarmes
et du médecin. Il appela sa femme... en vain ! Quand un gendarme, qui
commençait à examiner les alentours, appela. Il venait de découvrir l'
épouse à l'arrière de la maison. Elle était couverte de sang et s'était
allongée pour mourir sur une sorte de monticule dont elle avait gratté la
terre... et sa main retenait dans la sienne celle d'un enfant qui se
trouvait sous ce monticule...

Jamais personne ne sut exactement ce qui s'était passé ! Est-ce que
l'enfant est mort accidentellement, l'a-t-elle tuée ? Pourtant, il habita la
maison et toute sa vie, il a tenté de connaître la vérité.

Peu avant sa propre mort, mon père est allé lui rendre visite... déjà, il
n'était plus tout-à-fait conscient, il ne cessait de répéter : "Prenez soin
du trésor ! Il est resté à la maison !". Mais mon père eut beau chercher,...
de trésor ? Point ! Il n'y avait que le bric-à-brac qui y est resté et que
vous avez dû trouver ! La maison est restée fermée depuis, nous n'y sommes
jamais retourné, quand nous avons vu la publicité de l'agence qui cherchait
des maisons à vendre : je les ai contacté et Monsieur ici présent vous l'a
proposée !

Après ce récit, il me fallut bien quelques minutes avant de répondre :
- Je vous remercie de votre franchise ! Cette homme a dû atrocement souffrir
! Sa souffrance et le tragique évènement qui en est cause ont imprégné les
lieux... et la maison ! C'est ce que j'ai ressenti en la visitant et je ne
l'en aime que plus ! Alors... allons-y ! Si vous le voulez bien, passons à
la signature de l'acte !

Mes mots détendirent un peu l'atmosphère et pendant que le notaire et
l'agent immobilier préparaient les documents, je m'adressai à nouveau à M.
Lataupe :
- Le jour où les colombes seront de retour, viendrez-vous me rendre visite ?
- J'attendrai impatiemment votre invitation !

C'est alors que l'agent immobilier ajouta à l'encontre de Lataupe, avec un
clin d'oeil pour moi :
- Un conseil amical, cher Monsieur ! Téléphonez-lui d'abord !

Mady