Destination : 95 , Homo Nimes


Les petits métiers

Les petits métiers

- Bonjour Monsieur, le fond de l'air est frais aujourd'hui, excusez ma curiosité, je vous observe à fond, du fond de la rue, avec votre air de ne pas y toucher, puis-je vous demander ce que vous faites, au fond?
- Je fais mon métier, comme font les honnêtes gens, c'est mon fond de commerce, je l'exerce à fond, pas à fond de train, mais sans train-train, toujours entrain de le pratiquer sans en voir encore le fond, par tous les temps, quand la neige fond, dans le bruit de fond du vent, des voitures!
- Mais encore? la vérité est au fond du puits, le puits est profond, je me morfonds d'ignorer ce métier-là et je me confonds en excuses en insistant!
- Puisque vous avez l'air d'avoir un bon fond, comme on m'espionne, je vais vous le chanter tout bas, sur l'air de "ainsi font, font, font les petites marionnettes" je suis gardien, mais aussi chasseur, dénicheur et conservateur de mots, des petits mots doux, des gros mots, des mots coupants comme des couteaux, de tous les mots passés, présents et en devenir!
C'est la source de tous mes maux, vous savez comment se font et se défont les réputations!
On me convoque à la cour de justice pour m'accuser de détournements de mots mineurs, d'enlèvement de fonds de bibliothèques entières, contenant des milliers de mots.
On me poursuit, ça m'en a tout l'air, c'est pourquoi j'erre de ci de là, un jour dans une aire d'autoroute, un jour dans une autre. Je recherche des mots qui avaient cours autrefois et qui ont disparu, dans je ne sais quelle arrière-cour, le temps d'un très court instant. Je cours les écoles et les cours de français, mais aucun discours ne fera qu'ils accourent à ma voix, ce sont des espèces à jamais disparues.
- Et vous avez vos préférés, vos trésors bien cachés?
- C'est sûr, on s'attache, des liens se créent. Les jaloux, sans en avoir l'air, qu'ils aillent se faire lanlaire. En cachette, je me les répète pour qu'ils prennent l'air mes jolis mots: tintinnabuler, asphodèle, lunule, gazouillis, pimprenelle et tant d'autres.... et puis je les range tout au fond de mon coffre, bien cachés.
- Et quelle est votre spécialité, celle dans laquelle vous brillez le plus?
- La recherche des Homonymes, Homo Nîmes, c'est moi l'homme en question et je suis né à Nîmes, belle ville romaine aux fontaines sans fond.
C'est très délicat, la recherche des homonymes, ils sont rusés, se cachent en file les uns derrière les autres. Admirez, ils ne manquent pas d'air: verre (matière), verre (à boire) ver (animal), vers (direction), vers (poésie), vair (fourrure), vert (couleur). La chasse est longue et coûteuse, à fonds perdus, mais la passion vaut bien quelques sacrifices!
Je travaille aussi à répertorier les mots immigrés, qui veulent s'installer. On a un grand fond de mots anglais qui se fixent insidieusement. Il y a aussi les langues régionales qui revivent pour certaines, l'argot, les mots inventés par des djeunes, et là j'y vais a'donf, mais ce n'est plus guère de mon âge, de quoi ai-je l'air?! C'est bien pire avec les SMS, là je touche le fond. Peut-être que c'est l'ère future qui s'annonce.
- Et où les gardez-vous, tous ces mots pour les empêcher de s'échapper, de s'envoler?
- Mais dans les dictionnaires, les lexiques, les livres de vocabulaire, bien sûr!
De quel fin fond de province sortez-vous?
- J'étais à l'étranger... Merci de m'avoir donné un peu de votre temps. C'est un bien beau métier que vous faites là, qui va au fond des choses.
- Hélas, Monsieur, il disparaîtra avec moi! Les jeunes ne veulent plus faire ces métiers-là. Ca ne ramène pas assez de fonds. Et puis, maintenant il y a les ordinateurs, concurrents redoutables qui font sans cesse des progrès.
Au fond, si ça se trouve, tout le monde parlera anglais ou chinois, qui sait? voilà peut-être le fond du problème...

kanga