Destination : 76 , Je suis un animal...


'Jmel

‘Jmel.

J’écris avec une farine dorée,
j’écris avec du vent,
j’écris avec des lumières,
avec des herbes sèches, avec les épines géantes dont je me nourris,
j’écris avec les pierres bruissantes de la montagne, avec toutes les couleurs que prend le sable : au petit jour, au plein soleil, au crépuscule et dans l’air frais de la nuit.
J’écris avec la blancheur métallique de la lune,
j’écris avec les terres mauves, ou brunes, ou grises, avec tous les ocres bien sûr.
J’écris avec toutes les images mille et mille fois racontées du désert, je suis le désert, ‘Jmel, le dromadaire.

J’écris avec mes longues dents jaunes, avec mes lèvres souples, et dans mes naseaux humides la boucle de métal ou de cordage qui me tient soumis, blessure intime qui lie le maître et l’esclave.
J’écris sous le joug, sous le bât, j’écris avec ces quelque mètres de corde dont la courbe descend de ma bouche à la poigne du chamelier. J’écris avec ces immenses paniers où se répartissent les charges sur mes flancs, j’écris sous le poids changeant des touristes, dans le bavardage des enfants, dans le balancement des hommes et des femmes qui ondulent entre mes épaules.
J’écris avec ma bouche en forme de sourire, avec toute la force des rares prisonniers qui ont appris à être plus libres que leurs geôliers.

J’écris avec mes yeux de fille, avec mes cils immenses,
j’écris avec le souvenir des cuisses humides et si longues des chamelles,
j’écris avec le bruit du thé qui ruisselle et mousse dans les petits verres, avec les craquements secs du feu de bois, la chaleur et les rires qui débordent de la tente, avec l’odeur du pain, les tambours et les chants.
J’écris avec le mouvement souple des dunes, hanches de femmes où les amants laissent leurs traces jusqu’à ce que le vent les souffle, dérisoires.
J’écris le pas des scarabées qui savent dessiner des mots, arabesques sur le sable.
J’écris la nuit quand mes yeux surveillent les galopades furtives, les trots anxieux, gazelle, fennec, gerboise, petits scorpions…
J’écris avec les courbes fortes de mon cou et je ris en silence, lâchant des vents amers au nez de ceux qui me suivent. Mes crottes tombent, ovales et sèches comme les dattes.

J’écris la magie des puits, des mots tus et cachés, accrochés dans les buissons d’épineux. J’écris depuis cet arbre qui a décidé contre tous les probables, de grandir là, au milieu du plateau.


J’écris désormais avec mon autre vie.
Je regarde passer le monde, ce n’est plus moi qui me déplace.
Je mange bien, j’ai un peu grossi, on ne peut pas tout avoir.
J’écris les familles le dimanche, les enfants et leurs grands parents le mercredi, j’ai quelques amis fidèles le reste du temps.
Ali est un ancien berbère, comme moi. C’est lui qui nettoie ma cage, je le regarde en souriant, il m’insulte en souriant.
Il fait un peu froid ici en hiver.
Dans l’enclos à côté du mien, il y a un loup borgne auquel un enfant vient rendre visite, j’écoute leur silence, leurs regards. Ceci est une autre histoire…
ZK

zefirin kopec