Destination : 144 , Magique !


Brin de vie

Lucie avait l’âge où l’on croit pouvoir escalader un arc-en-ciel, changer la course des nuages, ou faire s’effondrer le plafond de la maison en faisant éclater une grosse colère.

La vie était si douce avec papa et maman, pourquoi avait-il fallu que maman se mette en tête de désirer un autre enfant ? Est-ce que Lucie ne lui suffisait plus ? Au bout de quelques années l’amour s’use-t-il au point qu’il faille l’exercer sur un autre ?

Lucie voyait sa mère s’extasier devant le miroir en caressant son ventre qui s’arrondissait. Cette « chose » qui poussait au creux de ses entrailles la dérangeait. Il était hors de question qu’elle modifie quoique ce soit dans sa vie d’enfant choyée.

Sur ses cahiers, elle dessinait sans répit d’horribles têtards qu’elle gribouillait ensuite rageusement jusqu’à en traverser le papier. Ses poupées subissaient les pires sévices et même son ours préféré, n’avait qu’à bien se tenir car les claques lui tombaient sur le coin du museau sans prévenir. Gaspard, le chat de la voisine se serait fait couper les moustaches s’il n’avait pas été plus malin qu’une petite fille de quatre ans pour disparaître en attendant que l’orage passe.

Au beau milieu de la nuit, Lucie se réveillait en sursaut et s’égosillait pour ameuter toute la maisonnée.

Un jour, maman revint d’une visite chez le médecin et annonça à Lucie qu’elle allait avoir un petit frère.

« Tu es contente ma chérie ? »

« Non, répliqua Lucie, quand le petit frère sera là, je le mettrai à la poubelle ! »

Maintenant que l’on savait que l’ « heureux événement » serait un garçon, un branle-bas de combat s’organisa dans le petit bureau de papa qui allait devenir la chambre de bébé.

Les murs furent repeints en bleu ciel, les rideaux changés et le petit berceau de Lucie que l’on avait relégué à la cave depuis qu’elle dormait dans un lit de grand, refit surface avec des volants bleus et une ribambelle de peluches ridicules.

Dans les magasins, maman ne pouvait s’empêcher de s’extasier devant de vilaines petites grenouillères et jetait l’argent par les fenêtres en achats stupides et inutiles.

Lucie tentait de déclancher les hostilités par des caprices bruyants mais on l’ignorait. Il fallait qu’elle s’habitue à l’idée qu’elle n’allait plus être l’enfant unique.

La fillette haïssait cet intrus qui allait lui prendre sa place.

C’est alors qu’un soir Papy et Mamy débarquèrent à la maison car papa et maman durent partir précipitamment en voiture.

Papy dit que le petit frère était un peu pressé d’arriver.

Mamy fit un gâteau au chocolat, le dessert préféré de Lucie, mais celle-ci ne voulut rien manger et s’enferma dans sa chambre pour bouder.

Ce petit frère pouvait aller au diable ! Il n’y avait pas de place ici pour lui !

La petite fille eut une idée. Elle revêtit son déguisement de fée et, se concentrant sur sa baguette magique, prononça la formule de rigueur : « Abracadabra, je ne veux pas d’un petit frère ! ».

La nuit fut mouvementée. Lucie entendit la sonnerie du téléphone et les chuchotements inquiets de ses grands-parents avant de s’endormir.

Et puis soudain, papa était à son chevet. A la lueur de sa petite lampe, l’enfant voyait ses yeux rougis.

Il lui dit : « Maman est restée à la clinique, elle se repose un peu et ensuite elle reviendra ici ».

Lucie hésita un moment et demanda : « Avec le petit frère ? ».

« Non, répondit papa, ton petit frère n’a pas voulu venir habiter chez nous, il a préféré aller vivre dans le ciel… »

La fillette resta muette. Elle était responsable .Tout le monde était triste à la maison par sa faute.

Elle avait beau secouer énergiquement sa baguette magique pour le faire revenir, aucun signe du petit frère ! Elle était désespérée.

Un soir qu’elle pleurait en silence dans son lit, Mamy vint l’embrasser et, voyant son petit visage baigné de larmes, s’assit au bord de son lit et la pris dans ses bras.

Alors Lucie osa lui confier son terrible secret. Inquiète, elle s’attendait à une grosse réprimande. Mais Mamy n’en fit rien. Elle la serra très fort contre son cœur et murmura dans son oreille que personne n’était responsable de ce qui était arrivé.

Puis elle sortit de sa poche un petit sac en tissu qu’elle ouvrit et mit dans la main de Lucie de minuscules poupées colorées.

«Ce sont les petits enfants du Guatemala qui fabriquent ces poupées-tracas. Chaque fois que tu te sentiras mal, tu mettras une de ces petites poupées sous ton oreiller en te couchant et, au matin, tu iras mieux ».

Ce soir-là, Lucie aligna toutes les poupées sous son oreiller.

Le lendemain, son désarroi s’été envolé.



Fabinuccia