Destination : 147 , Journal malade


La maladie d'Ewing

13 Février 1993

Salut ! Je m’appelle Jérôme, Jérôme Landriot. Mais depuis que je suis tout petit, tout le monde m’appelle Jéjé. J’ai quinze ans dans un mois et un cancer.

Il porte, lui, un nom savant : ostéosarcome, mais il peut aussi avancer masqué, en empruntant le nom de celui qui l’a identifié, Ewing.

C’est la maladie d’Ewing, enfin en ce moment, ça serait plutôt la maladie de Jéjé, et celle d’Hugo, mon compagnon de chambre au Centre Léon Bérard.

Elle s’attaque aux os, la méchante, et elle les aime tendres, puisqu’elle choisit ceux des ados, principalement. A Hugo, elle a pris sa jambe droite, jusqu’au genou et à moi la troisième côte, en partant du bas, à droite.

Quand je suis arrivé dans la chambre, après mon opération, ça m’a fait un choc de voir le moignon d’Hugo… et sa prothèse, au garde à vous au pied du lit !

Il m’a demandé : « T’es là pour quoi ? »

« On vient de m’enlever une côte, j’avais un kyste… »

« Un kyste, foutaise, dans cet hosto, petit gars on est tous dans le même bain, on a tous le cancer, alors arrête ton char ! Et demain, ce qu’on va te balancer dans les veines, c’est pas des antibiotiques, c’est de la chimio, ça fait dégueuler et perdre les cheveux. »

Sur ce, il a rajusté son bandana rouge qui le fait ressembler à un pirate, et il m’a carrément tourné le dos.

Vous y trompez pas, Hugo, quand on le connait bien, il est sympa. Mais là, il avait eu une dure journée, il venait d’apprendre que le traitement marchait mal et qu’il devait en reprendre pour trois mois. Et moi, accroché à mon kyste et mes illusions, je l’avais gonflé grave.

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21 Février 1993

Après huit jours de chimio intensive, je suis rentré à la maison.

Maintenant, le nouveau protocole, c’est une fois par semaine, ouf !!

Je suis retourné au collège illico, baste encore les cours mais j’avais hâte de revoir les copains. Il n’empêche que de me revoir partir à l’école si vite, ma grand-mère n’est pas loin de me considérer comme un héros. « Quel courage ! » s’est-elle extasiée, les yeux mouillés de larmes. Maman n’est pas dupe parce que je l’ai vu sourire, pour la première fois depuis longtemps.

Au collège aussi, je suis le héros, tout le monde me salue, même ceux que je ne connais pas. On me couvre de cadeaux, les copains me lancent des bourrades dans le dos, les filles me suivent pas à pas, pour un peu, elles me porteraient mon cartable. C’est pas désagréable. En cours, les profs me considèrent avec égard, on ne m’en demande pas trop, ça tombe bien, parce que j’en fiche pas une rame !

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1er Mars 1993

Mes cheveux sont tombés, d’un coup, ce matin. Je les arrache par poignée, ça fait comme un coussin. Maman m’a acheté des bandanas comme Hugo mais moi je préfère une casquette, ça fait plus lascar. C’est une Nike, elle est blanche.

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16 Mars 1993

Hier, c’était mon anniversaire. On m’a offert un ordinateur !

C’est bizarre, avant, mes parents, je croyais qu’ils ne m’aimaient pas. Ils étaient toujours après moi, à m’engueuler, alors que ma sœur, qui fait autant de c… que moi, mais derrière leur dos, ils l’encensaient.

Maintenant, ma mère me couve des yeux, comme si je risquais de disparaitre à tout moment. Mon père, lui, essaie de faire comme si de rien était. Il continue à me disputer, pour des broutilles, mais je sens que le cœur n’y est pas.

Ils se sont saignés aux quatre veines pour m’offrir cet ordi. Ils sont pleins de petites attentions. Ils ne me lâchent pas, et des fois, j’étouffe !

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17 Avril 1993

Aujourd’hui, Mercredi, jour de chimio. C’est souvent Maman qui m’amène. Papa, j’ai l’impression que l’hôpital moins il y va, mieux il se porte.

A ce sujet, ils se disputent. Pour maman, ma santé passe avant tout. Mon père estime qu’une maison propre et à manger dans nos assiettes, c’est important aussi. Je vois pas le souci, les deux, c’est bien ! En fait, ils se complètent. A eux deux, ils font équipe. Pour ce que j’ai, c’est la « dream team », alors pas de lézard !!!

Donc, pendant que le produit passe, ensemble, on lit Stéphen King. En ce moment, c’est «Charlie ». Tout d’un coup, je pousse un cri, Maman, qui était sortie faire un tour dans le couloir, rapplique en courant.

« Qu’est-ce qu’il y a ? Tu as mal ? » Elle est verte.

« Non, c’est rien, c’est ce que je viens de lire, l’expression « pot aux roses ». Moi, dans ma tête, j’imaginais que ça s’écrivait « poteau rose » ! »

J’avais jamais vu rire ma mère comme ça, j’ai cru qu’elle s’étranglait. Elle était toute rouge, avec des larmes qui lui coulaient sur les joues. Du coup, ça m’a fait rire aussi. L’infirmière a débarqué pour vérifier la perf : « Hé là, j’ai du me tromper de produit pour que vous rigoliez comme ça ! »

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6 Juillet 1993

J’ai changé de chimio, j’y vais plus que toutes les trois semaines !!! On va pouvoir partir en vacances à la mer, c’est trop cool !

« A condition que tu portes un tee-shirt et que tu restes sous le parasol à la plage ! » a dit le professeur Brunet, catégorique. Moi, j’m’en fous ! Je mettrais bien un anorak, des moufles et un bonnet, pourvu qu’elle me laisse partir !

En plus, mes cheveux repoussent, sauf qu’ils sont fins comme ceux d’un bébé, tous bouclés et blonds platine !

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4 Septembre 1993

Rentrée au lycée. Je retrouve mes potes de toujours : Nico, Vincent et Cédric.

On me redonne l’ancienne chimio, j’ai reperdu tous mes cheveux. J’ai de nouveau ma bonne vieille casquette Nike vissée sur la tête.

J’aime pas les regards glauques que me jettent ceux qui ne me connaissent pas.

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12 Décembre 1993

Cadeau de Noël du professeur Brunet ! On me dispense de la dernière séance de chimio ! Dernière radio, dernière scintigraphie osseuse, dernier scanner.

A moi, la belle vie !

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Surveillances tous les quinze jours… tous les mois… tous les trois mois… tous les six mois… tous les ans… Je passe le Bac !

Surveillances tous les deux ans… Je réussis mon diplôme d’IUT !

Surveillances tous les trois ans… Dispensé des obligations militaires (YES !), je rentre dans la vie active

Surveillance tous les cinq ans…

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8 Septembre 2005

Le professeur Brunet m’annonce que c’était ma dernière visite.

C’est bizarre, plutôt que la joie que je devrais éprouver, c’est un sentiment d’abandon qui m’assaille. Après douze ans, j’ai un peu peur d’être lâché, comme ça, dans la nature.

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10 Avril 2010

Harassés par la vie professionnelle trépidante que nous menons dans la région parisienne, Caroline et moi sommes venus nous ressourcer en province.

Et puis, ça fait tellement plaisir à mes parents de profiter des petits !

Jusqu’à présent, comme se plait à le dire ma mère, tout va bien…

Mamido