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Destination : 265 , Je dirai malgré tout que cette vie fut Ailleurs

Une résistante

Septième étage sans ascenseur, comment fait-elle à son âge ? Il règne un froid glacial dans cette cage d’escalier vieillotte. J’ai apporté un thermos de café et un cake que j’ai confectionné en pensant à elle. Hier j’ai réécouté les quelques enregistrements disponibles de ses interprétations de Mozart et de Bach. Je vais lui annoncer une bonne nouvelle : Boris et moi lui avons trouvé un modeste appartement qui pourra accueillir un piano. Elle aura enfin un vrai toit »



Elle ouvre la porte. Elle est si pale. Elle est engoncée dans des manteaux et des châles. Elle se déplace avec peine, lourdement. Je dépose sur la table de bois branlante mes présents. Elle rit et son regard pétille en buvant le café chaud et en croquant dans le gâteau. « J’ai rêvé qu’il était mort, tout seul. Il appelait et personne ne venait. Bien fait ! Ce n’est pas charitable mais je le redis : Bien fait ! » Elle emprisonne le crucifix qu’elle porte en permanence comme pour l’empêcher d’entendre.

Je comprends sa haine. Notre pays vit sous une dictature monstrueuse : arrestation, déportation, torture, assassinat. Nous vivons la peur au ventre, mais nous vivons, nous l’avons décidé. Nous savons encore rire, chanter et aimer.



« Crois-tu qu’ils vont encore interdire mon concert la semaine prochaine ? » « Je ne le pense pas. Nous savons qu’une délégation étrangère de musiciens sera présente et ils souhaitent t’entendre. » « J’en profiterai pour lire entre deux morceaux un poème de Boris sur la liberté » « Non. Boris n’y tient pas. En ce moment il fait profil bas. Il a réussi à faire passer un manuscrit en Angleterre. Tu n’as pas l’air de réaliser que tu échappes toujours de justesse au camp de travail grâce à ton talent. Combien cela durera t’il si tu défies en permanence le pouvoir ? Le tyran te protège parce que tes interprétations lui donnent la chair de poule, clame-t-il, mais c’est un fou sadique. Je crains toujours pour ta vie »



Elle se lève d’un coup et se met à chanter un cantique une main sur le cœur et l’autre tirée vers le ciel. Elle a une voix magnifique. Heureusement qu’on ne l’a pas empêchée de donner des cours de chants pour gagner un peu d’argent.

Je l’admire, elle n’a peur de personne. Plus on l’oppresse plus elle s’affirme. Elle rencontre qui elle veut, discute avec tous ceux qui la passionnent, elle n’a rien et partage sans compter son amour et son don pour la musique.

Je sais qu’à la fin de son prochain concert les spectateurs seront debout pour l’applaudir et ce malgré les militaires postés dans la salle.



« Vois-tu, ma Tatiana, lorsque j’aurais achevé la rédaction de mon journal, tu pourras lire ceci en conclusion : « « Je dirai, malgré tout, que cette vie fut extraordinairement passionnante ! » ».



Evelyne Willey



EVELYNE W