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Destination : 308 , Ailleuropolis

Le livre d’une vie

Nous marchons en silence au milieu d’un long couloir. Nous portons tous un badge avec un numéro. Je suis le numéro 31. Je déteste les nombres impairs. Mais 3 + 1 font 4 donc je me calme.

Le couloir est bordé de chaque côté de portes.

Lorsque nous arrivons devant la porte qui nous est destinée, le badge s’éclaire et vibre sur notre poitrine. Certains hésitent devant leur porte, frappent modestement, puis entrent la tête basse, d'autres, le menton haut, disparaissent d'un coup.

Moi, je suis comme engourdie. Mon badge vibre, c’est un peu douloureux mais cela s’estompe lorsque je j’appuie sur la poignée de la porte.



La pièce est grise et très propre. Le plafond est haut.

Pas de fenêtre, aucun décor. Elle est meublée d’une longue table de bois rude et sombre sur laquelle sont alignés de volumineux livres. Se tiennent aussi de petites tables de fer autour desquelles attendent des chaises rigides, laides et inconfortables.



Un appariteur en costume noir, chemise blanche, sans cravate, me conduit avec une mine de dédain et d’arrogance vers un livre.

C’est une sorte d’encyclopédie. Les lettres de l’alphabet dépassent de la couverture d’un marron luisant.

« C’est votre vie côté sombre. Tous vos défauts, vos méfaits, bref tout ce qui vous accuse, y sont classés. Vous devez vérifier avec soin et apporter des modifications si nécessaires. Mais nous avons été très vigilants. Il ne devrait y avoir aucune erreur. »



Comme il m’agace : ce ton important, cette suffisance.

« Je vous prie de m’excuser, mais ma vie n’a pas eu que des côtés sombres : j’ai aussi fait quelques bonnes actions, il me semble »

Il ricane : « Nous le savons naturellement. Le juge, devant lequel vous serez déférée, possède déjà un dossier très complet ».

Il me place l’énorme livre sur les bras, ce qui me fait ployer un peu, et me pousse vers une petite table.



Lettre M : comme Mensonge. Le mot sort du livre, devient écran brillant, me happe. Je sais que je vais revivre, le cœur lacéré, la tête en feu, tous les mensonges de ma vie.

Je ferme les yeux. Je ne tiendrais pas.

C’est donc cela le Purgatoire.



On tire la chaise en face de moi. J’ouvre les yeux. Je découvre un être dont la tête est couverte d’un bandage impressionnant qui ne laisse voir que ses yeux et sa bouche.

Il vient de déposer un livre semblable au mien devant lui.

« Vous souffrez ? » me dit-il d’une voix jeune et douce. Malgré la répulsion qu’il m’inspire, je réponds sourdement « Oui » «C’est bien, c’est ce qu’ils veulent. Éprouvez-vous du remord?» D’un signe de la tête s’acquiesce.

Brusquement, il se penche vers moi, j’ai un geste de recul :

«Que craignez-vous ? Je vous propose un marché. Je prends votre livre et je vous donne le mien. Nous allons regarder avec compassion, force et patience, le côté sombre de nos vies mutuelles. »

Je trouvais l’entreprise dangereuse et osée.

L’appariteur avait disparu. Délicatement nous échangeâmes nos livres de vie.



À peine avais-je touché la couverture du livre de mon interlocuteur, que le décor s’évanouissait. Je marchais d’un bon pas le long d’une route. L’air était frais, le ciel sans nuage, j’avais vingt ans. Je ne savais pas qui j’étais.

EVELYNE W