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Croque-mort mais pas seulement

Elle cherche, la mine grave, dans ses fiches puis dit : « Bien entendu, rien correspondant à vos diplômes et vos formations, mais pourquoi ne pas tenter ceci … ?».

Quelque chose de joyeux se réveille dans mon cœur délabré. Je lui souris largement. Elle conserve sa mine sévère.



« Agent des pompes funèbre » à prendre tout de suite. Si vous faites l’affaire vous serez embauché. »

Un bref instant je reste interloqué et puis je me lève avec vivacité. « Pas de problème. J’ai toujours eu beaucoup de respect pour la mort. Je peux vous assurer que je serai un parfait croque-mort ! »

Je fais le fanfaron mais je suis vraiment heureux, pensez deux ans à subir le chômage et j’approche la cinquante à grands pas.



Je suis reçu par le directeur, à peine trentenaire, de la modeste agence de pompes funèbres. Il m’inspecte de la tête au pied. J’ai soigné ma mise. Je n’ai qu’un seul costume mais qu’il est bleu nuit. Je sens qu’il fait l’affaire. Le dossier me concernant est fermé devant lui.

« Nous sommes une petite structure aussi nous jouons tous les rôles. Vous serez, selon les besoins, porteur, maître de cérémonie, conseiller funéraire, comptable et standardiste. Pendant trois jours vous allez me suivre, bien regarder, bien écouter, bien enregistrer. ».



Un type épatant ce jeune directeur qui déjà me tutoie. J’ai vite appris. De plus il m’a évité le « bizutage du thanatopracteur » « Pas de temps à perdre pour ces enfantillages. Si tu veux donner un coup de main, à tes moments perdus, pour la toilette funéraire et la présentation du corps, tu me sonnes ! »

Je le sonnerai sans doute. Toutes les facettes de la mort m’intéressent.



Ce jour, j’ai mis ma casquette de conseiller funéraire. Un homme et une femme âgés, voûtés par le chagrin, sont assis devant moi. Ils vont enterrer leur fille morte dans un accident de voiture. Je ressens une infinie compassion pour eux.



Plusieurs photographies de leur fille sont alignées sur mon bureau. Je les regarde attentivement. C’est étonnant, je n’ai aucune difficulté à imaginer la vie de cette jeune femme. Je dis : « Elle aimait tellement la campagne et les fleurs. Et quelle main verte ! »

Le couple me considère avec stupéfaction. « Vous la connaissiez ? » demande le père d’une voix brisée. Je lui souris « Non, mais j’ai l’impression que toutes ces photos me parlent, très clairement, d’elle. »

La mère éclate en sanglots. Le père la console. « Mais c’est merveilleux que monsieur puisse voir Maryse vivante en regardant les photos. C’est un don tu sais. C’est pour cela qu’on lui a confié ce poste. ». Je ne le détrompe pas.

La mère stoppe brusquement ses pleurs et me lance « Je vous en supplie, monsieur, aidez-moi. Je n’ai pas compris l’accident de voiture. Morte comme ça. Ce n’est pas possible. Est-ce que vous croyez, que » elle hésite « Que vous pourriez lui demander, pour l’accident ? Vous devez me prendre pour une folle n’est-ce pas ? »

Je la regarde avec une profonde tendresse. « Non, ne craigniez rien, mais les photos me la montrent vivante avec son amour pour la nature. Rien ne me parle de sa mort. Je vais emporter ces photos chez moi et essayer de travailler ma concentration. On ne sait jamais. Pour les funérailles, nous ferons les choses simplement, dans le respect de sa personnalité. Je viendrai déposer chez vous tous les documents nécessaires. Cela vous évitera de vous déplacer à nouveau. Et en ce qui concerne l’accident … qui sait ?».



C’est étrange de se découvrir un don. Je n’en parlerai pas à mon jeunot de directeur. C’est vrai que j’ai eu des visions en regardant les photographies mais je dois conserver les pieds sur terre. Tout cela est trop neuf.

Je tente une expérience. Je sors, d’un autre dossier, une photo et la regarde attentivement. Rien, aucune sensation, aucune image. Je reprends, un peu désespéré, une photo de la jeune femme. Des visions se mettent à danser, très floues, mais c’est comme une sorte de contact, d’invitation. Je suis troublé.



J’ai disposé les photographies de Maryse sur la table basse du salon. J’ai mis un CD de musique douce et profonde jouée par une flûte orientale. Je bois, lentement, un maté.



Brusquement une vision horrible se présente, je souffre terriblement en la regardant : un visage de femme ensanglanté, aux yeux que la surprise et l’incompréhension agrandissent, puis une ombre menaçante qui, peu à peu, efface le visage.

J’ai du mal à respirer. Je sors, épuisé, de cette vision de cauchemar.



Je sais que je dois poser une question aux parents de Maryse : « Qui était à ses côtés lors de l’accident ? »



EVELYNE W