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Une perche pour Alphonse

Courte pièce de théâtre. Décor : un café très banal. Personnages : un client qui écrit en buvant un café. Une femme qui derrière le comptoir essuie des verres.

Une présence fantomatique flotte au-dessus du client



Le fantôme : Manque d’inspiration ? Quel est le sujet sur lequel tu dois écrire.

Le client : Je dois imaginer un être à qui je propose ma prose en lui demandant son avis.

Le fantôme : Veux-tu mon aide ? (le fantôme s’assoie sur un siège face au client). Voyons .. : Si j’étais vivant ou vivante, je ressemblerai à quoi ?

Le client : A moi, sans doute, mais en plus moche, plus maigre, plus hargneux, avec une bouche mince comme un fil d’où ne sortirait que des reproches et des immenses yeux globuleux animés par un regard un peu fou toujours plein de colère.

Le fantôme : Merci pour ce portrait au vitriol ! Moi qui ne cherche qu’à d’aider en permanence.

Le client : Non, en y réfléchissant bien, tu ressemblerais à ma mère. Elle aussi ne cherchait qu’à m’aider et pour cela, elle devait me pourrie la vie.

Le fantôme : Ah non ! Pas ta mère, tu me vexes. Trouve autre chose.

Le client : Ma femme alors qui m’a toujours pris pour un raté. (Il imite la voix pompeuse de sa femme) « Alphonse tes écrits sont ennuyeux ! Ils te ressemblent. Aucune fantaisie, aucune surprise, aucun suspens. Et puis, ils se ressemblent tous. Je me demande si tu ne ferais pas mieux de peindre. »

Le fantôme : La chienne ! Je comprends pourquoi tu l’as quittée

Le client : Non, c’est elle qui est partie

Le fantôme : Bien ! à part toi, ta mère et ta femme, à qui je n’ai aucune envie de ressembler, quelle tête pourrais-je avoir ? Je pense à quelque chose : Si j’étais un animal, un oiseau, doté de la parole. Ce serait bien non ?

Le client : Mon chat dormait lorsque je récitais mes poèmes. Pas même un petit clignement d’oeil pour m’encourager. Aucun de mes mots ne pouvaient le sortir de sa perpétuelle sieste.

Le fantôme : Que veux-tu les chats rêvent et leurs rêves sont plus fabuleux que tous les mots que tu pourrais écrire. Et si j’étais un oiseau ?

Le client : C’est une belle idée. J’ai toujours désiré qu’un oiseau se pose un jour sur mon épaule et que nous puissions bavarder. Je me souviens soudain du film de Pasolini « Des oiseaux petits et gros » et de ce corbeau qui racontait une fable à deux voyageurs.

Le fantôme : Il a eu une triste fin ton corbeau conteur. Les voyageurs, lassés par ses histoires, l’ont mangé.

Le client rit bruyamment : Evidemment Pasolini n’est pas Saint François d’Assise !

La femme derrière le comptoir interpelle le client

La femme : Vous écrivez des choses amusantes M. Alphonse ? Ce serait bien. On a tant besoin de lire des mots drôles et légers. J’ai lu votre recueil de poèmes, je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer. C’est si triste ce que vous écrivez. Moi, si j’étais de vous, je parlerai de joies simples et d’espoir. L’espoir M. Alphonse, c’est un beau sujet réconfortant.

Le fantôme : Voilà une belle perche tendue ! Je jure de ne pas te décourager.

Le client : Je vais essayer, mademoiselle, je vais essayer …



Le rideau tombe.

EVELYNE W