Destination : 122 , Changer la vie


EXPLOSION

Explosion

Emilie avait une jolie maison en banlieue parisienne, deux enfants et même un chien. Son époux, médecin en ville, lui avait suggéré de reprendre un emploi ; « Les enfants sont grands maintenant, tu devrais y songer. » Et sans lui laisser le temps d’y réfléchir, il lui avait dégoté un emploi de secrétaire sur Paris avec l’appui d’un ami ; « C’est justement ton profil, tu ne peux pas refuser. »

Emilie avait donc sagement repris le RER tous les matins. Elle regardait tous ces gens affairés d’un œil nouveau et les trouvait bien tristes.

Et puis, il y avait eu ce soir-là. Elle rentrait après une journée particulièrement épuisante. Elle avait couru pour attraper de justesse son train. Et elle se demanderait longtemps si sa vie n’aurait pas été toute autre sans cette course… mais non, elle était là, tout suante, cherchant du regard une place assise et se faufilant pour y parvenir, devenue en quelques mois comme les autres zombies de RER.

Et puis, il y avait eu l’arrêt du train et là, comme chaque soir, elle se laissa embarquer par la foule qui se déverse, dévale les escaliers, s’engouffre dans le tunnel. Et à l’irruption de la lumière, s’égrène de tous côtés. Mais là, elle les voit. Ils sont cinq, blouson bleu sombre, chemise glacier, pantalon serré aux chevilles, rangers aux pieds, casquette brodée « police ». Ce n’est pas la première fois bien sûr. Mais ce soir, pourquoi ce soir ?, ce soir elle s’arrête, elle ne sait pas pourquoi, elle ne peut faire autrement. Elle s’arrête, est bousculée par la foule qui poursuit son chemin et elle les regarde. Ils ont déjà choisi leur cible et l’encercle. C’est un homme mûr de grande taille, habillé d’un jean usé, d’une chemise rouge et d’une veste trop ample pour lui. Un homme fatigué qui rentre du travail comme elle mais qui a un signe distinctif ; il est noir.

Emilie se retrouve seule ou presque. Les policiers fouillent l’homme. Celui-ci a les mains posées contre le mur, le visage baissé, les jambes écartées, comme dans les films, comme un voleur. Dans une posture d’humiliation.

Alors Emilie ne se retient pas, elle s’approche et demande poliment ; « Pourquoi ? » à un des policiers et surtout ; « Pourquoi lui ? » Pour toute réponse, une femme policière intervient et la menace ; « Nous sommes en sureffectifs, alors si vous y tenez vraiment, on peut vous fouiller vous-aussi ! » Emilie devrait partir, elle sent une sueur glacée lui couler dans le dos mais elle reste là, elle insiste, parle du pays des Droits de l’Homme… Un policier lui ordonne de partir. Emilie se dresse alors de sa petite hauteur et EXPLOSE. Elle insulte les policiers et ne sait comment, assène une gifle à cette policière.

Emilie s’est ensuite retrouvée au sous-sol de ce commissariat. En garde à vue, dans une cellule grise et froide aux odeurs nauséabondes où elle tentait vainement de se réchauffer en remontant son col de manteau trop léger avec pour seule compagnie cette grille. Cette grille qui lui signifiait l’enfermement, la descente aux enfers, un procès et aussi la fin de sa vie de famille. Son époux profitant de cette situation pour la quitter et officialiser la relation avec sa maîtresse, cette femme de l’ombre qui attendait depuis tant d’années une telle occasion.



Emilie perdait tout, sa vie confortable et réglée d’autrefois. Et pourtant elle ne regrettait rien de son geste, de sa réaction de colère face à la violence arbitraire des forces de l’ordre. Elle savait que c’était vraiment et peut-être pour la première fois de sa vie son choix à elle-seule, une décision courageuse et cela lui appartenait. Une vie nouvelle s’ouvrait devant elle et elle se sentait libre.

Leïla T