Destination : 182 , A table !


Elle rate toujours ses potions magiques

Avertissement : Nous tenons à informer l'aimable lecteur qu'il ne trouvera pas, dans les lignes qui suivent, une recette détaillée de potions magiques conformément aux souhaits appuyés de la CISP (Confédération Internationale des Sorcières Patentées). Il est à noté que tout contrevenant à ce diktat ferait immédiatement l'objet d'une métamorphose.



Albertine était une jeune sorcière "INCAPABLE" comme disait sa belle-mère, "DANGEREUSEMENT AMATEUR" comme disait son beau-père, "TETE EN L'AIR" comme disait mollement son mari afin de l'excuser.

Sa mère avait su, dès sa naissance qu'elle ne "SERAIT BONNE A RIEN", son père clamait à la ronde qu'il ne voyait absolument pas "DE QUI ELLE POUVAIT TENIR".

Albertine ratait immanquablement toutes ses potions magiques. Elle était la honte de sa communauté.

Pourtant elle avait un excellent livre de cuisine magique. Elle était intelligente, vaillante, volontaire, mais voilà au moment de rajouter dans son chaudron, parfaitement briqué, les ingrédients comme : trois gouttes de venin, une larme de ciguë, deux pincées de langue fourchue déshydratée, quelques dards plantés dans un oignon pourri, une cuillère à soupe de bave de crapaud, une fine tranche de boyaux de dragon, un oeil de perdrix, un poil à gratter enfin toutes ces petites choses qui font la saveur et la renommée d'une parfaite potion magique, le coeur et l'estomac en déroute, elle intégrait à sa mixture tantôt des pétales de roses et du miel de Provence ou du thym frais et du romarin sauvage, avec un verre de vin rouge de Gaillac ou blanc de Pouilly enfin mille et une abominations qui font le désastre d'une mixture extraordinaire.



Voyez quelques malheurs que la cuisine d'Albertine provoqua autour d'elle :

Elle avait concocté pour sa belle mère une potion qui devait faire disparaître une magnifique verrue ornée d'un franc poil noir qui ornait son nez mais gênait sa vue.

Le poil et la verrue trépassèrent mais la chevelure blanche de la digne femme se transforma en crinière verte qui fit d'elle un objet de risée du petit monde exigeant et classique des sorcières mais épata les petits enfants (ce dont sa belle-mère n'avait cure détestant au plus au point les marmots hormis sous forme de saucisson).

Quant à son beau-père qui ne pouvait plus marcher, elle lui frotta la plante des pieds avec une de ses préparations. Le pauvre homme se mit à courir comme un lapin poursuivit par un chien durant une semaine entière. Puis, l'effet de la potion étant achevé, il s'écroula en vieux chiffon, haletant, hagard.



Albertine gagna deux ennemis et perdit un mari.



Cependant, le ciel et les enfers décidèrent (on n'exposa pas ici les raisons d'un tel accord resté secret) de se montrer clément avec Albertine.

Ils firent tomber sur le balcon de l'incompétente sorcière un oiseau blessé.

Albertine le ramassa délicatement et pleurant sur l'infortune du volatil, s'aperçut que ses larmes, inondant le plumage, guérissaient la pauvre bête.



Plus de potion magique à fabriquer maladroitement ! Quelques larmes d'amour et de compassion suffisaient.



Elle enfonça son large chapeau noir sur sa tête, enfourcha son balais et alla pleurer sur le monde qui en avait grand besoin.



Fin

EVELYNE W