Destination : 367 , Couples du monde


Danton & Aldaï

Je voudrais vous parler du couple le plus atypique que j’ai rencontré dans ma vie : mes arrière-grands-parents. Tout, absolument tout dans leur relation, est le fruit d’un hasard improbable. Cupidon devait avoir un sacré coup dans l’aile, ce jour-là, en envoyant sa flèche. A moins que son geste n’ait été dévié au dernier moment par un vol de palombes passant dans le ciel de Gascogne…

… en effet, c’était l’automne. Et celui qui allait devenir mon arrière-grand-père était à la chasse à la palombe avec ses frères quand il vit passer une jolie caille. Il laissa tomber son fusil et ses frères pour aller, en digne descendant du roi Henri IV, lui conter fleurette .

Et ils tombèrent amoureux, et ils voulurent se marier, ce qui en soit était déjà assez improbable car le prétendant était loin d’être à la hauteur des attentes de la famille de sa belle ! Elle était issue d’une maison de riches paysans et, étant fille unique, destinée à recevoir toute la propriété et les biens familiaux en héritage. Lui était le dernier d’une fratrie de quatre garçons et une fille, autant dire qu’il n’aurait pas grand-chose à la mort de ses parents.

Mais enfin, le destin jouait en leur faveur, et surtout, le père ne savait pas dire « non » à sa seule enfant chérie. Le mariage se fit, sous un soleil rayonnant – à vrai dire je n’en sais rien car je n’ai jamais pensé à leur poser la question de leur vivant.

Cependant, ce n’est pas en cela que leur couple est aussi original à mes yeux. Il l’est parce que rien ni personne ne pouvait être en aussi complète opposition. Leurs convictions, idéologiques, politiques et religieuses ; leurs loisirs et leurs centres d’intérêts ; leur façon d’être et de se comporter… ils étaient, en tout, totalement différents et pourtant, inséparables.

Il aimait les copains, la fête, la musique et jouait dans la fanfare du village. Il adorait le cinéma, ou écouter des concerts, des opéras et, dès qu’il a eu une voiture, il allait jusqu’à Agen ou Bordeaux, ce qui était assez rare à l’époque.

Elle détestait la foule et les grandes assemblées bruyantes, aimait bien papoter avec ses voisines et échanger des ragots sur les uns ou les autres, et la seule sortie à laquelle elle prenait plaisir était la messe du dimanche.

Il aimait les chiens, il détestait les chats.

Elle aimait les chats, elle détestait les chiens.

Lui, était un fervent communiste, un « camarade » connu et reconnu au sein de la section du département. Résistant actif pendant la guerre, puis membre fondateur des premières coopératives agricoles, il était convaincu de la primauté du collectif et du social sur l’individuel et le capitalisme. Laïque et même anticlérical, il ne supportait pas les « robes noires » dont la morale dégoulinante lui donnait envie de vomir…

Elle était issue d’une famille catholique, très pieuse, très croyante et très pratiquante. Dieu était au-dessus des hommes et la parole de ses représentants étaient sacrée et indiscutable. La politique lui donnait de l’urticaire, tous ces hommes gesticulants et vociférants pour imposer un point de vue plutôt qu’un autre…

(Petite parenthèse : je vous laisse imaginer l’ambiance des dimanches de Pâques, devant la télévision retransmettant la messe du Vatican ; tout comme celle des soirs d’élection, particulièrement présidentielle. L’enfant que j’étais alors garde un souvenir mi-amusé, mi-terrifié, des discussions fleuries qui traversaient la pièce…)

Ils se disputaient tout le temps ! Le plus souvent, c’étaient des chamailleries sans conséquence, je dirai même aujourd’hui, avec le recul, qu’il devait s’agit entre eux d’une façon de maintenir le lien affectif entre eux, comme une tension amoureuse. Mais de temps en temps, c’étaient de véritables tempêtes qui ravageaient le salon. Et alors là, gare à nous ! On se faufilait vite fait hors de portée des assiettes et des cris qui fusaient avec la même violence. Heureusement, cela ne durait jamais longtemps et nous savions vite lequel des deux avait eu le dernier mot, selon que la grand-mère sortait de la pièce en silence, un léger sourire au coin de la bouche et un regard impérial ou que le grand-père prenne sa casquette en sifflotant pour aller boire un coup avec ses camarades au café du village (et aussi un peu fêter sa nouvelle victoire mais ça, il ne fallait pas le dire à sa femme). Car, quel que soit le vainqueur, il avait toujours la délicatesse de quitter les lieux sans étaler sa jubilation pour laisser à l’autre le temps de se recomposer tranquillement.

Ma mère qui, par les aléas d’une enfance compliquée, a longtemps vécu chez eux, m’a dit qu’il ne passait pas une journée sans qu’ils se chamaillent, ni une semaine sans qu’une grosse colère n’explose. Moi je n’ai pas connu cette période, peut-être qu’en vieillissant, la sagesse ou la lassitude avait pris le dessus ?

Et cependant, malgré ou au-delà de tout cela, ils s’aimaient et n’ont jamais cessé de la faire. Je le voyais dans leurs gestes, leurs regards, la façon qu’ils avaient d’être attentifs l’un à l’autre. Ils ont été pendant des décennies, les piliers d’une nombreuse famille (cinq enfants, dix-huit petits-enfants, une trentaine d’arrière-petits-enfants) et leurs disparitions, à quelques années d’intervalles a laissé un grand vide.

Ah ! J’allais oublier de vous dire ! Ils s’appelaient Aldaï et Danton, et ça, c’était déjà des prénoms digne d’un roman d’anthologie !

myriam