Destination : 103 , La fleur d'oranger séché


Fiction de printemps

Ca aurait pu être au début du printemps, quand la lumière soudain s’attendrit, que le souffle du vent est léger, et le coeur des filles aussi.
Je l’aurais rêvée, je l’aurais attendue, je l’aurais désirée avec une intensité inconnue, et elle aurait enfin décidé de venir me rejoindre.
On se serait donné rendez-vous au pied de l’albizia, à cause de la brise et de l’exotisme.
Elle aurait habité très loin, sous d’autres latitudes, peut-être à Madagascar, ou simplement à Barcelone. Ou encore, ailleurs. Et j’aurais aimé le mot « latitude ».
On se serait rencontrés tous les jours, d’abord à quatre heures dans le parc, au bord de la pièce d’eau, et on aurait suivi ensemble les reflets mouvants des nuages à la surface des choses. Ensuite, plus souvent. Tout le temps enfin. Elle aurait été indispensable à la moindre de mes minutes.
Je lui aurais tenu la main, j’aurais plongé mon regard dans ses grands yeux, jusqu’à voir le monde avec les siens, j’aurais respiré le même air qu’elle, tout simplement, au rythme langoureux de sa poitrine.
Il y aurait eu des enfants apprenant à faire du vélo, ou surveillant leurs voiliers, et on aurait occupé notre temps heureux à le sentir passer lentement, à les regarder pédaler au loin et voguer en rond. A observer les enfants, avec un petit sourire. A les trouver beaux dans l’application sérieuse qu’ils mettent à jouer.

Elle aurait pu s’appeler Maria, comme avant elle sa mère et sa grand-mère, dans une filiation infinie. Maria, et j’aurais roulé un tout petit peu le « r » et traîné aussi sur le « i ». La douce musique de son prénom aurait fait, à elle toute seule, comme une chanson.
Elle aurait été le soleil et la lune, le sel et le sucre sur ma peau, mon eau de source, mon eau de vie. Je l’aurais enlacée sans fin, m’enivrant de l’odeur de menthe de son corps, avec la pensée que je pourrais passer ma vie entière à ne rien faire d’autre que la caresser doucement, à sentir son coeur frissonnant contre mes paumes amoureuses.
……………………

A la télévision, il y a ce train, soudain, quelque part vers la frontière espagnole, les images abstraites de tôle écrasée, déformée, tordue en accordéon grinçant pour musique contemporaine, l’univers devenu brutal, les cohortes de sauveteurs en boucle.
Moi, je sais bien que l’horreur du monde ne me concerne pas.
Moi, j’ai Maria dans mes pensées, bien au fond, je lui fais un rempart de mes bras, pour la protéger toujours, et c’est tout chaud.
Et j’ai aussi une télécommande.

C’est le début du printemps, la brise est légère sous l'albizia, la vie palpite dans nos veines, et le monde est harmonieux.


Christine C.