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Complainte de l'éponge
Complainte de l’éponge
« Assez et encore Assez !!! »
C’est ma complainte, aujourd’hui je prends la parole pour crier ma douleur.
Oui ! Ma douleur de pauvre éponge mal traitée !
Mon seul destin, frotter, gratter, récurer, dégraisser. Je suis en miette. Je passe mon temps dans les eaux troubles et grasses. On m’appuie sur la tête avec une force inouïe. On me fait valser à une vitesse vertigineuse. J’en ai le tournis dans cette assiette ronde et vas-y dessus puis dessous, et encore ! Et les verres, hein, les verres je vous demande un peu ; je suis tordue, pliée, poussée dans un tuyau et puis on me tourne, me retourne, on m’écrase. Je ne m’exprime pas on m’exprime. Je suis chamboulée.
Puis il faut que cela mousse alors on me déverse sur la tête une espèce de shampooing qui sent le pin ou le citron et tout brille. La faïence grince tellement c’est propre.
Je suis la multi surface, la cosette de la maison. Aujourd’hui, je sens trop mauvais.
Je le vois arriver le bain ! On me plonge, enfin on me balance dans une bassine d’eau javellisée. Pouah ! Ça pue mais il faut désinfecter. Je sens le propre et pourtant je commence à me déliter. Quelquefois je me repose ; quand la machine est en route ou pendant les vacances mais je me dessèche car comme les plantes vertes on oublie d’arroser.
Je les entends parler souvent, ils veulent me jeter, je suis trop vieille et toute usée. Je suis surtout écorchée de tous les cotés. Je deviens chauve. Mes beaux cheveux verts tombent à vu d’œil. Ils ne peuvent même pas me vendre, ils n’en tireraient pas un bon prix !
Pourtant partout autour de moi il y a des caisses et des sacs de recyclage. Vieux chiffon à poussière m’a expliqué que certains objets ont une autre vie. Pourquoi on ne me recycle pas moi ?
Tiens, par exemple, je me verrais bien dans la salle de bain. Hum ! Caresser la peau d’Agathe. Elle est douce Agathe et toute parfumée. Me faufiler dans les petits recoins douillets. Me faire mousser, toute tendre et humer la vanille, la violette ou le lilas comme la brise au printemps. On me chanterait des chansons. On me serrerait doucement pour faire couler l’eau claire tout en me récitant des poèmes de Francis Ponge.
Il est permis de rêver…
Lilou-Frédotte