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Théâtre d’ombres
Ce matin-là, je me suis réveillé tôt, ce qui n’est pas mon habitude.
Nous étions en été et le jour naissant avait braqué une lumière efficace sur le lit.
J’ai regardé ma femme dormir. Cela ne m’était pas arrivé depuis des années. Son visage était d’une extrême pâleur. Des cernes sombres entouraient ses yeux.
J’ai pensé que le jour de sa mort, elle présenterait ce même masque de fatigue et de défaite que le sommeil ne parvenait pas à détendre.
J’ai quitté la chambre sans bruit en pensant : « Mais qu’est-ce que je fais ici ? »
Cette chambre est laide, les motifs du papier peint, les gravures au mur, le dessus-de lit, la carpette, rien n’est à sauver. Elle pourrait être une quelconque chambre d’hôtel.
Tout de même, dans le lit, il y a ma femme. Ma femme ? cet étrange cadavre en devenir. Cette étrangère.
Petit à petit tout se défait en moi, laissant la place à du vide qui questionne.
J’ai versé de l’eau chaude sur la poudre du Nescafé. Je ne sais plus pour quelle raison, nous avions renoncé à boire du « vrai » café. En mélangeant la mixture, je me suis dit que je détestais le café soluble.
Quel est cet autre qui se rebelle ?
J’ai pris une rapide douche. J’ai remarqué le gris passé du drap de bain et j’ai eu un frisson de dégoût en m’essuyant.
Le miroir m’a renvoyé une image qui m’a glacé. Je suis aussi livide que la femme dans le lit. Les mêmes cernent sombres emprisonnent mon regard. Mes cheveux ont beaucoup blanchi.
C’est donc moi ? Pourtant je suis en bonne santé, mon corps vigoureux. Pourquoi, en si peu de temps, suis-je donc devenu un vieillard ?
Réagir, je dois réagir. Ai-je trop dormi durant toutes ces années ? Les miroirs ne trompent pas.
Impossible de refaire le chemin en sens inverse, assez de vaines réflexions. Oublier le vieil homme du miroir, sortir et marcher droit devant en respirant largement.
Je me suis habillé avec soin. C’était très important. D’ailleurs je m’achèterai une chemise. C’est ma femme qui choisissait mes vêtements et cela me convenait. Mais, à présent, je suis animé d’une ardeur insoupçonnée.
Soudain, j’ai regardé ce qui fut mon fauteuil. Il m’a semblé qu’une ombre y était enfoncée et semblait attendre. Cette vision, même fugitive, m’a terrifié.
Abandonner ce sinistre décor, ce théâtre mortifère. Partir n’importe où, mais partir.
La porte s’est refermée sourdement dans mon dos.
Le tombeau fut scellé.
Me voici, léger, dans la lumière matinale. Je sens sur mes lèvres le baiser frais d’une vie nouvelle.
Evelyne